Dernière édition le 07 août 2014
Ce matin, une très belle journée s’annonçait sur Paris. Il était sept heures du matin, le ciel était dépourvu de nuage et les premiers rayons dorés du soleil vinrent illuminer majestueusement la voûte, offrant ainsi un spectacle inoubliable aux quelques lève-tôt. A la vue de ce show, digne d’un documentaire de la BBC, certains adeptes purent déduire que cette journée risquait d’être inoubliable.
Les rayons virevoltaient gracieusement par-dessus les toits, prenant un soin maladif d’annoncer à tous les habitants l’arrivée d’une nouvelle matinée. L’un d’entre eux se posa tendrement sur le rebord d’une fenêtre d’appartement situé non loin du centre-ville. Ce-jour devait être incontestablement la plus mémorable pour son occupant. Conscient de cela, le faisceau lumineux pénétra dans un salon qui baignait dans l’obscurité la plus totale. La décoration y était très modeste, il y avait très peu de meuble et rares étaient les cadres qui ornaient les murs. L’habitant paraissait se contenter du strict minimum.
À côté de cette pièce, dans la chambre à coucher, une personne n’arborant qu’un simple short vert kaki ainsi qu’un débardeur d’un blanc éclatant était allongée sur le ventre et dormait à poings fermés. La nuit avait dû être quelque peu mouvementée car il semblait y avoir eu une confrontation entre le personnage et son drap bleu nuit. Il avait pris soin de laisser passer l’une des extrémités de la couverture entre ses jambes sobrement poilues, tandis qu’une autre partie était pressée par son visage, suggérant ainsi l’immobilisation de l’ennemi et la victoire de l’individu.
Soudain, un second éclat de soleil qui trouva le chemin de son lit, frappa de plein fouet la crinière aux nuances châtain du jeune homme. Descendant délicatement le long de son visage et projetant des reflets bruns sur le mur, la lueur se mit à torturer ses yeux. L’individu décida de les ouvrir lentement et émit un gémissement plaintif. Il releva aussitôt son bras droit encore engourdi par la fatigue et se couvrit la figure afin de se protéger les yeux.
Brusquement, d’un coup sec, il tourna le dos à la fenêtre par laquelle l’importun s’était introduit dans sa chambre, puis il mima une grimace de satisfaction replongeant, par la suite, dans les bras de Morphée. Toutefois, cela fut de courte de durée. Au-dessus de sa tête, aux pieds de sa lampe de chevet, le radioréveil vint à la charge et se mit à résonner violemment dans la pièce, ordonnant au jeune homme de se lever immédiatement.
Cette fois-ci, il éleva fébrilement son bras gauche qui longeait le long de son corps et à l’aide de sa main, il tâtonna le meuble en quête d’un bouton d’arrêt. La manœuvre dura une trentaine de secondes mais en vain, l’appareil était hors de portée et ne voulait pas s’arrêter en si bon chemin. Dans un premier temps, la personne se plaça sur le dos et posa ses deux mains sur ses oreilles espérant atténuer le vacarme dans sa tête. Mais son adversaire ne lâchait pas prise. Les sons s’intensifièrent et devinrent de plus en plus désagréable. Le jeune homme n’avait plus d’autres choix que de déclarer forfait dans une bataille dont le pronostic était connut d’avance. Il quitta une énième fois un sommeil interrompu par cette satanée machine, qui avait déjà plusieurs victoires au compteur. Il redressa le haut de son corps, formant un parfait angle droit avec sa couverture, et désactiva fermement son réveil. Assis sur le bord de son lit encore chaud, d’un poing fermé il frotta délicatement ses yeux encore éreinté, laissant distinguer des globes teintés de lueurs noisette.
Les cheveux en bataille, il finit par sortir de son nid douillet et se tint debout face à la fenêtre. Cette même ouverture qui l’avait perturbée du bon matin. Il se mit à contempler les cieux qui lui promettaient une journée sans encombre. Se tenant bien droit, il dirigea adroitement ses bras en direction du plafond, formant ainsi un axe vertical irréprochable le long du corps. Puis il les rabaissa et effectua une série de va-et-vient. Quelques minutes plus tard, après avoir enchainé plusieurs séries de figures acrobatiques, il décida de les conclure avec un hochement de tête, signifiant qu’il avait terminé ses étirements pour aujourd’hui.
Sentant une démangeaison au niveau inférieur de son visage, il posa habilement une main sur sa barbe, qui n’avait pas été entretenue depuis deux jours, et à l’aide de ses ongles coupés méticuleusement au millimètre près, il tenta d’estomper cette sensation désagréable. Une fois cela terminée, il s’avança à petits pas vers la porte massive de sa chambre et posa délicatement sa main sur la poignée. Avant d’effectuer ce geste quotidien qu’il faisait chaque matin, son attention fut retenue par une tache nacrée près de la charnière centrale de la porte. Il retira sa main de la manette et gratta la saleté. Celle-ci refusait obstinément de se décoller. Le jeune homme conclut qu’elle devait être là depuis longtemps mais qu’il n’avait pas le temps de la nettoyer aujourd’hui. Il tira la porte et quitta la pièce, sans pour autant refermer derrière lui.
Devant lui se dressait un étroit couloir couleur crème. Les lieux étaient imbibés des particules lumineuses du soleil offrant une visibilité totale à quiconque. Il marcha quelques pas, puis il bifurqua à gauche et ouvrit une seconde porte.
À l’intérieur, il pénétra dans la douche et tourna les deux valves d’eaux jusqu’à obtenir la température idéale. Il ouvrit l’armoire qui se trouvait à côté du miroir et retira deux serviettes de bain. Puis il se déshabilla rapidement et se dirigea vers la douche, laissant refléter brièvement une fine silhouette aux courbes musclées à travers la glace. Il tira le rideau et commença à se rincer tout le corps avant de verser le shampooing sur le haut de son crâne. Il effectua le même geste plusieurs fois avant de quitter le sanitaire. Il s’essuya soigneusement le corps et quitta la pièce muni d’une simple serviette grisâtre qui faisait le tour de ses hanches et s’étirant jusqu’à ses mollets.
Sur un air déterminé, il pénétra dans sa chambre, ouvrit son placard, saisit un boxer à carreaux, suivit d’une chemise blanche à manche longue ainsi qu’un jeans. Il se changea hâtivement avant de se rediriger vers la cuisine où un café encore chaud l’attendait. Il saisit un mug dans le placard qui s’érigeait juste au-dessus de sa tête, et se servit généreusement de sa boisson matinale.
(Note de l’auteur : à partir de cette partie, je vous conseille de lire la suite accompagné du titre Convergence du groupe 30 Seconds to Mars.)
Près du canapé, une série de scintillements retint son attention. Elle émanait du téléphone fixe de l’appartement qui jonchait à côté de la télécommande de la télévision. Il s’approcha rapidement de l’appareil et constata que le chiffre trois clignotait à intervalle régulier. Il déposa son mug non loin du téléphone et pressa un bouton pour enclencher la boite vocale. Aussitôt, un long signal sonore retentit dans la pièce, brisant le silence dans laquelle elle était plongée. Soudain, une voix féminine robotisée prit la relève et en effectuant des arrêts constants entre chaque mots qu’elle prononçait, dit :
« Vous avez trois nouveaux messages ».
« Premier message, envoyé hier, à treize heures cinquante-six ».
Elle s’arrêta brusquement de parler et enclencha la lecture du premier message vocal.
« Salut Ulrich, c’est Nicolas. C’était pour savoir si ça tenait toujours pour demain soir ? Rappelle-moi ».
Ulrich se rappela qu’il avait un dîner professionnel ce soir avec un collègue. Il s’agissait d’un gros contrat pour la boite dans laquelle il travaillait. Il réfléchit diligemment s’il ne pouvait pas la reporter à une date ultérieure, se disant qu’il avait plus important à faire aujourd’hui. Il posa le doigt sur un bouton rouge situé à l’extrémité du pavé téléphonique et le pressa délicatement.
Le répondeur annonça aussitôt :
« Message supprimé ».
Le jeune homme se consola aussitôt que son absence pourrait lui être pardonnée par son ami, vu les circonstances. D’autant que Nicolas pourrait très bien gérer seul ce rendez-vous avec les nouveaux partenaires.
« Deuxième message, envoyé hier, à quinze heures vingt-deux ».
« Salut Ulrich… »
« Cette voix… » se dit Ulrich intrigué. Cela faisait deux ans qu’ils ne s’étaient plus reparler, mais il était capable de la reconnaitrait entre mille. Devait-il interrompre le message étant donné que le jeune homme connaissait la raison de cet appel ? Il prit le temps de réfléchir, mais, curieux, il préféra l’écouter jusqu’au bout.
« …c’est Aelita. J’espère que tu auras ce message avant… »
Elle s’arrêta brusquement de parler, cherchant les mots adaptés à la situation et laissant une vague hésitation la submerger. Elle finit par se reprendre et dit avec un enthousiasme non dissimulé :
« … avant tu sais quoi. Avec Jérémie, on est très ravie que tu fasses ça aujourd’hui ! »
Ces quelques mots ravirent Ulrich qui exprima un sourire béat, content d’apprendre que ses vieux amis le soutenaient.
« Odd nous a prévenu, et on trouve ça super romantique ! ... »
Lorsqu’elle formula cette dernière phrase, sa voix semblait être envahie par une certaine tristesse. Elle ne paraissait pas vouloir la terminer par crainte des répercussions que cela pourrait avoir sur son ami et sur ce qu’il pourrait ressentir, surtout durant un jour comme celui-ci. Ulrich ressenti l’angoisse qui émanait du timbre de la voix d’Aelita mais n’y fit pas trop attention, bien trop excité par le planning qu’il s’était concocté. Il attendu quelques secondes, cherchant la suite du message de la jeune femme. Mais rien ne sortait du haut-parleur. Avait-elle terminé ? se demanda-t-il. Il jeta un rapide coup d’œil sur le répondeur qui affichait le chiffre deux en rouge, insinuant que le message en cours de lecture n’était pas achevé.
Peut-être un problème sur la ligne se dit-il avant de presser à nouveau le bouton rouge « DEL ». Toutefois, une seconde avant qu’il n’appuya sur le bouton, son correspondant revint à la charge rajoutant :
« … mais … ».
Néanmoins, ce simple mot accompagné du reste du message furent balayés d’un revers par la voix automatisée du répondeur qui annonça avec satisfaction :
« Message supprimé ».
Ulrich décida de ne pas songer aux conséquences que son geste aurait pu avoir, se disant que si c’était important, Aelita rappellera.
« Troisième message, envoyé aujourd’hui, à zéro heure dix-sept ».
Le compteur annonçait déjà cinq secondes, et la personne n’avait toujours pas prononcé le moindre mot. Ulrich s’inquiéta pensant que le problème pouvait finalement venir de l’appareil.
Soudain, l’interlocuteur prit son courage à deux mains et décida de se manifester.
« Salut Ulrich… » fit timidement une voix féminine.
Cette voix, se dit une seconde fois Ulrich, laissant le temps nécessaire à sa correspondante le saluer. Le pouls du jeune homme s’accéléra devenant ainsi incontrôlable, tandis que sa respiration se synchronisa avec celle de la personne qui lui avait laissé un message dans la nuit. Il buvait les moindres mots qui sortaient de la bouche des hauts parleurs.
« … Tu sais bien que je n’aime pas faire ça par boîte vocal interposé… »
Elle fut prise d’un arrêt soudain, recherchant à son tour les mots justes.
Sa voix fut envahie par un vague chagrin mêlée à une nostalgie qu’elle semblait regretter.
« … mais il fallait que je le fasse et c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour nous deux... »
Elle s’arrêta une seconde fois, espérant prendre toutes les forces nécessaires pour ce qu’elle allait lui dire et évitant ainsi de partir sur une pente glissante et déclencher une énième discussion qu’ils avaient déjà eue.
« Je vais aller droit au but. Je t’appelle au dernier moment pour te dire que je m’en vais… au Japon… »
Elle prit une longue pause aux risques de laisser comprendre son interlocuteur la profonde douleur qu’elle ressentait à devoir tout quitter et notamment toutes les personnes qu’elle avait connues, chéries mais surtout aimées. Elle inspira longuement et rajouta :
« … pour toujours. Et je pense que c’est mieux comme ça. »
Elle tenta de retenir la peine l’inonder, essayant tant bien que mal de se contenir. Enfin, elle conclut son message :
« Je suis passé à autre chose, j’espère que tu pourras en faire de même. Pas la peine de me rappeler.».
Ulrich se tenait immobile face à cet engin qui lui cracha à la figure les pires mots qu’il pouvait imaginer entendre un matin. Son rythme cardiaque baissa et se mit à respirer normalement. L’appel fut bref mais d’une violence qu’il n’aurait pu concevoir. Il comprit le message mais n’avait pas la force de le réécouter une seconde fois comme pourrait le faire certains passionnés. Il en déduisit qu’il devait s’agir d’un message d’adieu. Devait-il le prendre au sérieux ? Dans un contexte différent il aurait sans doute fondu en larme et s’enfermerait à double tours dans sa chambre comme il le faisait alors qu’il n’était qu’un adolescent. Sans aucun doute, il se serait mis à regretter toutes ces occasions manquées où il aurait pu lui dire toutes ces choses qu’il avait dans le cœur, fantasmant ainsi sur un avenir avec des « si », et qui n’aurait jamais vu le jour.
Cependant, il détenait des informations qui risquaient bien de changer la donne. Il effleura finement un autre bouton sur le pavé numérique, méditant sur l’incroyable stratagème qu’il avait méticuleusement prévu la veille. Il se dit que cet appel ne changerait rien à ses plans, ni à ses sentiments. Il fronça les sourcils, exprimant sa détermination, et pressa la touche laissant la parole à la voix robotisée.
« Message sauvegardé » fit-elle avant de rajouter :
« Vous n’avez plus de nouveaux messages. »
*****
Le jeune homme descendit à grands pas les escaliers de son immeuble. Arrivé devant la sortie, il ouvrit grand la porte d’entrée et tomba nez à nez avec un homme qui devait avoir la cinquantaine. Les cheveux gris et arborant un béret casquette très usagé, il s’adressa maladroitement au résidant qui était sur le point de quitter précipitamment le bâtiment :
« Est-ce que vous connaissez un certain monsieur… » - Il prit le temps de relire le bout de papier fraichement découpé qu’il tenait entre ses mains avant de rajouter :
« Stern, Ulrich Stern ? »
« C’est moi. » fit l’intéressé.
« Bonjour, j’ai été envoyé par la compagnie de taxi. Vous avez demandez une voiture. Je suis garé en double file, pourrions-nous nous dépêcher, s’il vous plaît ? »
Ulrich s’exécuta et claqua la lourde porte métallique derrière lui. Il suivit le conducteur jusqu’à son véhicule. Ce-dernier ouvrit la portière arrière, laissant le jeune homme monter à bord avant de la refermer. Puis il se précipita à l’avant de sa voiture et fit un signe aux automobilistes à l’arrière, insinuant un départ imminent. Il mit le contact et s’engagea sur la route. Il roula une dizaine de mètres puis s’arrêta devant un feu. Il releva lentement les yeux en direction du rétroviseur intérieur du véhicule et jeta un regard sur Ulrich avant de lui demander :
« Où allons-nous ? »
Ulrich déverrouilla sur-le-champ son téléphone et consulta ses messages. Il balaya du doigt l’écran à la recherche d’une conversation spécifique. En effectuant ce simple geste, il se remémora la discussion qu’il eut avec Odd deux jours plus tôt, lorsque tous deux étaient assis sur la terrasse d’un bistrot de quartier.
** flashback **
Cela faisait plusieurs mois qu’Odd et Ulrich ne s’étaient pas vus et ils étaient bien déterminés à rattraper tout le temps perdu. Cette initiative devait débuter par un déjeuner à deux. Connaissant l’appétit d’ogre d’Odd, Ulrich avait choisi un endroit qui proposait un buffet à volonté sur sa carte. Tandis que le second dégustait son café corsé qui venait de lui être servit, Odd accumulait les croissants, tartines et café sous les regards dubitatifs des autres clients. Ulrich n’avait pu s’empêcher de se dire qu’au moins une personne dans la bande n’avait pas changé. Soudain, le blondinet ouvrit grand la bouche, laissant à quelques privilégiés entrevoir l’intérieur de sa gorge pleine à craquer, et baragouina une série de syllabe incompréhensibles les unes que les autres.
« Termine d’abord ce que tu as en bouche avant de parler », fit Ulrich amusé avant de ravaler une autre gorgée de sa boisson chaude.
Odd suivit les sages conseils de son ami et avala en quatrième vitesse ce qu’il avait dans le gosier et reprit depuis le début ce qu’il essayait de dire.
« Tu sais, j’ai parlé avec Aelita. »
Non surpris par cette information, Ulrich haussa un sourcil et ironisa les propos de son ami en lui répondant :
« Ah ? Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ? »
Le blondinet à la mèche mauve avait de nouveau le pharynx saturé. Il serra le poing et émit plusieurs coups sur sa poitrine, pensant faciliter le passage de la nourriture. Une fois soulagé, il répondit nonchalamment :
« Ouep, elle m’a dit qu’ils allaient se fiancer. »
Ulrich fut d’abord envahi par une sensation d’extase indescriptible. Il était aux anges, heureux pour ses deux amis. Il se doutait bien qu’il serait invité au mariage, ce qui le ravit au plus haut point. Néanmoins, cette émotion fut engloutie sans remords par celle du chagrin. Ce même sentiment qui le rongeait intérieurement depuis de nombreuses semaines. Ulrich hésita un bref instant à repenser à la cause de cette douleur émotionnelle mais rien que d’y penser une boule se formait au creux de son ventre suggérant plusieurs jours de peine et de replie sur lui-même. Il ne souhaitait plus revivre ces moments désagréables.
« Tu sais, moi les grandes cérémonies, c’est pas ma tasse de thé. » fit Ulrich sur un ton indifférent, tentant de dissimuler son malaise.
Odd comprit à la réponse vaseuse que son ami n’avait pas trop envie d’en parler lui rappelant de pénibles souvenirs. Or, cette situation attristait le blondinet plus que tout. À ce moment, son unique souhait aurait été que tout rentre dans l’ordre. Il se devait de consoler Ulrich, ou du moins lui fournir une seconde porte de sortie.
« Ouais j’sais bien… » dit Odd hésitant à révéler ce qu’il savait d’autre.
Ulrich le regarda d’un air soucieux, attendant sagement le reste de sa pensée.
« Oh… Et puis je ne sais pas si je devrais te le dire mais… Yumi s’en va définitivement au Japon. »
Les pupilles d’Ulrich se dilatèrent tandis que son sang fit un tour complet. C’est comme s’il avait reçu un violent coup de massue à la tête. Ce n’était pas la façon dont son vieil ami lui avait balancé cette nouvelle, mais bien le fait que Yumi quittait le pays. Pourquoi n’avait-il pas été prévenu ? Il fut noyé dans un torrent de vieux souvenirs qu’il vécut en compagnie de la japonaise. Il y en avait tellement qu’il était inimaginable de les énumérer. Il se souvint du doux parfum de la japonaise mêlé à celui d’une brise de printemps, alors que tous les deux étaient allongés aux pieds d’un arbre du collège Kadic. À ce moment, il n’avait qu’une envie, c’était de l’embrasser, mais il avait fait preuve de retenue, préférant dévorer du regard sa bienaimée.
Soudain, une douleur indescriptible se manifesta à sa poitrine. Sa respiration ralentit, comme si tout l’oxygène dans l’air avait disparu. Une énorme boule se forma dans le creux de son estomac, paralysant temporairement le jeune homme. Il saisit machinalement sa tasse de café encore tiède et en but une gorgée, espérant atténuer la douleur qui se mit à bouillonner au fond de lui.
« Elle s’en va quand ? » interrogea Ulrich courageusement, le regard plongé dans sa tasse.
Devait-il répondre à cette question ? Conscient qu’il avait mis son ami dans une mauvaise posture, il se demanda s’il devait répliquer favorablement. Cependant, il était déjà trop tard pour Odd de faire marche arrière. Voyant, qu’il avait commis une erreur, il répondit avec grande amertume :
« Après-demain… »
Ulrich perçut ce nouveau renseignement comme un électrochoc, relançant son cœur qui amorçait un arrêt cardiaque. Ses poumons battaient plein régime et ses yeux se mirent à scintiller, laissant distinguer une lueur d’espoir.
** fin du flashback **
Le feu tricolore vira au vert, forçant le conducteur à reprendre la route. La circulation était fluide au grand bonheur d’Ulrich. Il plaça sa tête contre la vitre, contemplant avec abattement le magnifique carré de ciel bleu qui l’accompagnait tout au long de son trajet.
Néanmoins, l’automobiliste paraissait moins insoucieux et commençait à s’impatienter. Cela faisait plus d’une minute qu’il attendait une réponse et son passager ne lui avait toujours pas donné de destination finale. Sentant l’empressement de celui-ci, Ulrich quitta du regard la douce voûte surplombant le bâti pour s’adresser à son conducteur.
« A l’aéroport, s’il vous plaît. » dit-il fièrement.
*****
(Note de l’auteur : à partir de cette partie, je vous conseille de lire la suite accompagné du titre City of Lights du groupe 30 Seconds to Mars. Il s’agit de la chanson qui m’a inspiré cette partie.)
La circulation était exceptionnellement dense cette heure-là. La majorité des vols avaient du retard et ne décolleraient que dans plusieurs heures, au grand damne des voyageurs inquiets qui devaient encore faire face aux nombreux contrôles de sécurités pleins à craquer.
Un bouquet de roses à la main, il se dirigea lentement vers l’entrée principale de l’aéroport. Son plan était très simple et ne présentait rien d’innovant. Accompagné des fleurs préférées de sa dulcinée, il lui déclarerait sa flamme devant la foule, tentant par la même occasion de la faire changer d’avis.
Il s’arrêta devant un passage piéton, laissant passer les automobilistes désireux de s’aventurer dans un parking déjà assiégé. D’autres individus munis de valises et mallettes en tout genre firent de même et se positionnèrent aux côtés d’Ulrich, patientant qu’un conducteur veuille bien les laisser traverser.
Au loin, une jeune femme s’aventura devant l’entrée principal du terminal, laissant le vent caresser ses cheveux soyeux teinté d’un noir éclatant, s’étirant jusqu’à son cou. Elle portait un bermuda ainsi qu’un t-shirt aux couleurs sombres. La présence de cette personne s’élançant à une cinquantaine de mètres de la position d’Ulrich retint immédiatement son attention. Comme s’il possédait un détecteur, il avait pu clairement identifier ce voyageur. « C’est elle » se dit le jeune homme avec bonheur.
Sa circulation sanguine s’intensifia, anxieux et excité de la rejoindre. Il était tout près du but et il ne pouvait se résoudre à la laisser filer ainsi entre ses mains. Il regarda aux alentours cherchant une faille dans la circulation par laquelle il pourrait se faufiler lui permettant d’atteindre la jeune femme à temps. Mais ce fut en vain. Le temps semblait s’être arrêté. Il observait cette déesse marcher au loin, alors qu’une courte distance les séparait.
Néanmoins, ce n’était pas ceci qui allait l’empêcher de mettre à bien son plan. Il inspira un coup sec et, mêlé au bruit de la circulation, il se mit à crier le nom de la personne qu’il cherchait à attirer l’attention parmi la foule qui le regardait perplexe. Toutefois, une fois de plus, sa tentative fut infructueuse. La japonaise continuait de s’avançant majestueusement jusqu’à l’entrée. Ulrich réitéra et hurla encore plus fort le nom de sa bienaimée.
« Yumi !! » cria-t-il avec enthousiasme et indiquant sa position à l’aide du bouquet de fleurs.
Malgré cela, la jeune femme paraissait absorbée par autre chose. Elle n’entendait pas les appels incessants d’Ulrich. Au contraire, elle continuait de marcher, loupant par la même occasion la majestueuse porte d’entrée.
Elle exécuta plusieurs pas et fit un large sourire à un homme qui s’appuyait contre le mur avec une cigarette à la main. Elle s’arrêta devant cet individu, déposa la valise qu’elle tenait en main sur le sol et plaça tendrement ses lèvres sur celles de celui-ci qui prit plaisir à lui renvoyer son doux baiser. Puis elle se retira et échangea un chaleureux contact visuel avec cet inconnu avant de lui dire affectueusement :
« Merci de m’avoir accompagné. »
Ulrich repéra une brèche tant attendue dans le défilé incessant des véhicules motorisés et se mit à courir les évitant avec panache. Alors qu’il se précipitait vers le trottoir d’en face, il chercha du regard Yumi qu’il avait perdu de vue. Il balaya la foule en quête d’un visage familier. Soudain, il constata avec stupeur que la fille pour laquelle il avait parcouru tous ces kilomètres embrassait langoureusement une autre personne que lui. Il s’arrêta brusquement de courir et lâcha sur le bitume les roses qu’il avait spécialement acheté pour sa bienaimée. Il ne lui restait plus qu’à dévisager passivement cette effroyable scène.
Yumi quitta du regard son compagnon et ils se dirigèrent vers la porte d’entrée du terminal. Tout à coup, une personne vint se placer derrière le duo et se mit à tapoter sur le dos de la japonaise. Troublé par ce geste, elle se retourna et vit une souriante vieille dame.
« Excusez-moi, mais je crois que ce jeune homme, là-bas, vous appelait. » dit gentiment la vieillarde en indiquant la position du garçon.
Interloqué, Yumi suivit du regard le doigt de la vieille dame et vit une personne s’ériger en plein milieu de la route. Elle découvrit avec effarement un individu au visage déconfit qui avait assisté à toute la scène.
« Ulrich ?! » cria Yumi le visage assombri.
Ulrich ne voulait plus rester une seconde de plus en ces lieux et fit quelques pas en arrière désireux de s’éloigner le plus loin possible des deux protagonistes. Le cœur en mille morceaux, il ne voulait pas être en plus confronté à une série d’explications et d’apitoiements qui l’auraient mis K.O. Soudain, une abominable douleur provenant du bas de son ventre fit trembler tout son corps, le plaquant férocement contre le sol.
Les voitures s’arrêtèrent brusquement, laissant une marée humaine se former autour du jeune homme immobilisé sur l’asphalte.
« Appelez vite une ambulance ! » pouvait-on entendre parmi les témoins tandis que d’autres personnes rajoutaient insensiblement « Le pauvre, il ne l’a pas vu venir ! ».
Yumi abandonna brutalement tout ce qu’elle tenait entre ses mains et se précipita en toute hâte au milieu de la foule.
Les yeux fermés, Ulrich repensa à cette journée et à la promesse qu’il lui fut fait par ce magnifique ciel bleu qui s’était dressé ce matin au-dessus de sa fenêtre, lui garantissant une journée inoubliable. Il ne put s’empêcher d’ironiser cette affirmation. Peut-être que les choses auraient pu être différentes s’il avait pu interpeller à temps la jeune fille. Il aurait pu l’arrêter au bon moment et lui exprimer tout ce qu’il avait dans le cœur depuis déjà bien longtemps. Touchée par ces révélations, Yumi l’aurait sans doute prise dans ses bras et ils se seraient enlacer inextricablement. Le nez plongé dans les cheveux de Yumi, Ulrich aurait pris un malin plaisir à sentir les phéromones qui s’en dégageaient. Cette même fragrance qui l’avait subjugué sous l’arbre du collège. Il s’en serait suivit un long et énamouré baiser. Celui que tous les deux n’avaient osé prononcer jusque maintenant. Si seulement son plan avait fonctionné correctement regretta Ulrich.
Il versa inconsciemment une larme qui s’écoula le long de sa joue et tomba dans une nappe rougeâtre qui s’étendait sur le sol.
*****
Au prix d’un effort surhumain accompagné de l’amour qu’il éprouvait toujours pour sa dulcinée, Ulrich réussit à ouvrir très brièvement ses yeux. Tout était blanc et encore flou autour de lui. Il se demanda s’il avait rejoint le fameux tunnel dont tout le monde voit avant de quitter ce monde. Après mûres hésitations, il réussit à percevoir des sons qui lui parurent très proches. Un bruit de sirène lui fit tourner la tête, il comprit qu’il était dans une ambulance. Le conducteur appuyait doublement sur la pédale forçant les automobilistes à se ranger sur le bas-côté de la route. Ces mêmes bruits émanant du véhicule étaient entrelacés avec des signaux sonores à intervalles régulier, suggérant la présence d’un moniteur cardiaque.
La vision encore confuse, il distingua une longue silhouette assise à ses côtés. Il concentra son attention sur celle-ci et vit un doux visage apeuré. Il l’a reconnu une seconde fois sans hésiter et tenta d’ouvrir la bouche pour lui dire ce qu’il avait dans le cœur depuis suffisamment longtemps. Toutefois la souffrance étant bien trop forte et l’empêcha de dire quoi que ce soit.
Néanmoins, il fut pris de vitesse par Yumi qui était stupéfaite de le voir réveillé.
« Ulrich ?! Tu m’entends ? » fit la japonaise aux bords des larmes.
En face d’elle se tenait l’ambulancier qui était aux petits soins avec le patient allongé sur le brancard. Sous le coup de l’admiration pour ces deux jeunes, il répliqua sur un ton rieur :
« C’est qu’il a du plomb ce petit. »
Ces mots suffirent à consoler la jeune fille, pensant que son soupirant n’était plus dans un état critique comme le laissait penser les deux ambulanciers devant l’aéroport. Yumi émit un léger sourire avant de lorgner une petite boite bleue qu’elle tenait tendrement entre ses mains encore imbibé des larmes de la japonaise. Celle-ci était tombée de la poche d’Ulrich alors que les secouristes le faisaient monter dans le véhicule des urgences. Elle l’ouvrit devant lui et vit un objet circulaire métallique avec au sommet une petite pierre précieuse qui refléta son visage tourmenté par le chagrin. Elle saisit la main d’Ulrich et se mit à la caresser passionnément.
« Ulrich… je voulais aussi te dire que je… » fit Yumi les larmes aux yeux.
Entrainé dans un long et douloureux sommeil dont il ne pourrait sans doute jamais en ressortir, Ulrich n’entendit pas la fin de sa phrase et referma ses paupières. Ses sens ne répondirent plus. Ses artères firent obstruées par le flux sanguin qui s’était figé, paralysant intégralement son corps. Lentement, une lueur éclatante pénétra à l’intérieur de ses yeux et l’aveugla. Il fut plongé dans un lieu sinistre avec pour seul élément de repère cet immense spot qui l’empêchait d’y voir clair. Il ignorait si c’était un rêve ou la réalité. Il couvrit d’une main ses yeux pour se protéger la vue et s’avança vers l’inconnu. Sous cette chaleureuse lumière qui lui caressait le visage, se dressa une personne. Il distingua de fines courbes et un large sourire qui s’était dessiné sur le visage de celle-ci. Elle semblait l’attendre impatiemment. Larmoyant, Ulrich ouvrit ses bras et se mit à courir promptement en sa direction, laissant le faisceau lumineux s’estomper derrière lui.
Yumi pleurait à chaudes larmes. Impuissante et assise sur un siège austère, elle se mit en retrait et laissa le professionnel prendre le relais. Affolé et prit de court, ce-dernier n’ayant pas vu le drame approcher, ouvrit sauvagement la chemise du jeune homme étendu, laissant Yumi brièvement contempler son torse. Il s’empara du défibrillateur, le chargea et l’installa sur le patient. Le corps frêle d’Ulrich se souleva et retomba dans un bruit sourd telle une marionnette dont on aurait coupé les fils. Le secouriste retenta obstinément la manœuvre plusieurs fois. Mais il était déjà trop tard. Ulrich relâcha mollement la main de Yumi et quitta le véhicule abandonnant derrière lui un long sifflement aigu.
Fin.
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