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Histoire : Guilty


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Écrite par almelyoko le 05 mai 2013 (42424 mots)

La vie semble si légère et simple, malgré les quelques petits tracas qu’elle peut nous prodiguer. Mais personne ne pourrait imaginer que cette paisible existence était menacée de seconde en seconde par Xana. Mais pas de panique. Nos cinq héros sont à l’affût. Bien sûr leur tâche est lourde et pénible : endurer les difficultés de tout adolescent lambda et mettre de côté les sentiments, les ressentis, et les désirs personnels, dans le but de préserver un monde qui ignore tout de cela n’est pas aisé. Heureusement, la lourdeur de cet acte héroïque est largement compensée par la valeur inestimable de leur profonde amitié, aussi solide que leur détermination face à l’ennemi toujours plus malfaisant.
Sur le pont de la vieille usine, la bande marchait tranquillement, comme à son habitude après une mission de routine sur Lyoko.

- Vous avez vu comme j’ai assuré ?! Franchement, vous pouvez le dire : je suis exceptionnel ! S’exclamait le blondinet aux cheveux en pointe.
- T’as raison Odd. Ta dévirtualisation par contre... Elle était moins "exceptionnelle" : se faire dévirtualiser par un Kankrela... C’est pas très glorieux ! Se moqua son ami brun.
- Tu l’as dit, Ulrich ! Du grand art ! Et on était aux premières loges pour assister à ça Yumi et moi ! Pas vrai ? Déclara la jeune fille aux cheveux roses, prise d’un fou rire en repensant à la scène.
- Oh oui c’est vrai ! Il nous faisait tout son discours de vantard et... PAF ! Un laser en plein dans le dos ! C’était hilarant ! Confirma la jolie japonaise, elle aussi pliée en quatre.
- J’aurais bien voulu voir ça ! dit Jérémie. Imaginant le moment.

Odd se sentit terriblement vexé et honteux à l’écoute des moqueries de ses amis. Néanmoins, il avait largement l’habitude : depuis plus de deux ans que ces cinq-là se connaissaient... Il n’avait pas changé ! Le même maigrich... "svelte" arrogant, prétentieux, et frimeur. Mais après tout... C’était son attitude hautaine qui faisait tout son charme (enfin, selon lui) . Quand il en eut assez de subir toutes ces railleries, il décida de changer radicalement de sujet.

- Au fait les amoureux ? Pourquoi vous vous prenez pas la main comme un mignon petit couple ? Pourquoi vous vous donnez pas des petits noms ? Vous êtes fâchés ?

En effet, Ulrich et Yumi sortaient ensemble depuis un peu plus de deux mois. Et oui ! Deux mois de bonheur, de plaisir, de baisers... D’amis qui viennent sans cesse les déranger, les taquiner, les harceler (enfin, surtout Odd ! ). Ils évitaient tout de même d’afficher leur amour devant tout le monde, et devant leurs amis... Cela n’avait pourtant pas empêché William et Sissi, leurs deux pots de colle respectifs, d’apprendre l’heureuse nouvelle, et de tomber dans une rage folle.

" C’est scandaleux ! Scandaleux ! Mon Ulrich avec ce corbeau ?! Et dire qu’il m’avait... Moi ! avait-elle hurlé dans toute la cour, après les avoir vu échanger un baiser furtif. "

Après cela, tous les élèves du lycée furent au courant, et les deux amoureux découverts se firent encore plus discrets qu’ils ne l’étaient déjà avec une étrange et désagréable sensation d’être épié par tous leurs camarades, et surtout par Milly et Tamiya, les journalistes vedettes à la tête des " Echos de Kadic ".

- Discrétion ! Tu sais ce que ça veut dire Odd ?! Gronda Ulrich exaspéré, et rouge de gêne.
- C’est justement pour éviter ce genre de remarque bidon qu’on agit pas comme un "mignon petit couple" devant tout le monde ! Ajouta Yumi dans le même état que son petit ami. Les petits noms c’est pas notre truc, et surtout... On a aucune raison d’être fâché l’un contre l’autre en plus !
- Au contraire. Confirma-t-il en la regardant tendrement dans les yeux.
- Ah ben voilà ! Un regard amoureux, au moins ! C’était pas trop demandé ! S’exclama Odd satisfait.
- Tu ferais mieux de les laisser tranquilles si tu ne veux pas servir pâtée pour Kankrela à la prochaine mission ! Conseilla Aelita.
- Ou finir dans le fleuve ! Renchérit Jérémie.

La plaisanterie fut brusquement interrompue par la sonnerie du téléphone portable d’Ulrich.

- Allô ? Papa, c’est toi ?! Demanda-t-il enjoué.

Il revint lentement sur ses pas, afin de pouvoir poursuivre la discussion, à l’écart du groupe, de sorte à ne pas être entendu. Son père et lui avaient connu de très chaleureuses réconciliations il y a deux mois, et en étaient très heureux.

- Comment allez-vous, Maman et toi ? Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de vos nouvelles.
- Et bien... Je me porte bien, du moins... j’essaye, et ta mère est toute excitée depuis plusieurs jours. Répondit le père mi-ironique, mi-contrarié.
- Ah bon ? Mais... Qu’est-ce qu’il se passe ?
- C’est justement pour ça que je t’appelle, fiston... Ta tante Célia va bientôt se remarier, et ta mère tient à ce que tu assistes à la cérémonie !
- Quoi ?!

Célia était la sœur de sa mère. C’était une femme d’affaire très douée, talentueuse, et intelligente... Mais elle était vraiment orgueilleuse, exigeante, têtue, et insupportable ! Ses grands airs tapaient sur les nerfs de tout le monde, ce qui lui valait des relations amoureuses catastrophiques. De plus, elle n’avait jamais réellement accepté son beau frère qu’elle considérait indigne de son adorable petite sœur ! En revanche, ces dernières entretenaient de très bonnes relations, malgré le fait que Célia traitait Ulrich comme s’il était encore un gamin.

- Mais Papa ! J’ai déjà assisté à ses trois derniers mariages ! Jusqu’à quand Maman me fera-t-elle encore subir ça ?!
- Jusqu’à ce que tu sois un adulte responsable et indépendant qui puisse faire tout ce dont il a envie. Ironisa M. Stern. En attendant, tu feras tout ce qu’on te dit, Ulrich Jean-Sébastien Stern !
- Arrête ! Tu sais très bien que je déteste quand tu m’appelles par mon nom complet !!! Vociféra le jeune homme.
- Je sais. C’était pour voir si ça te faisait toujours le même effet ! Blagua le père.
- Ben t’as vu !
- Oui, bon trêve de plaisanteries... Je suis passé à ton collège en coup de vent pour déposer ton smoking dans ta chambre, mais tu n’étais pas là.
- Euh... Je suis allé faire un tour dans le parc avec mes amis.
- Ce n’est pas grave. Je suis repartit aussitôt de toute façon : j’avais un rendez-vous. C’est juste que ça m’aurait fait plaisir de te voir.
- A moi aussi.
- D’ailleurs, en parlant d’amis, tu peux inviter Yumi si jamais tu as peur de t’ennuyer à la fête.
- Ah bon ? Je... peux ? Demanda le beau brun surpris et gêné par cette proposition.
- Bien sûr ! Et puis... Ça nous ferait plaisir à ta mère et à moi de la rencontrer !
- Eh bien... Je lui en parlerai. Mais... Au fait... Elle aura lieu quand cette cérémonie ?
- Euh... Ce... Weekend.
- Quoi ?! Et c’est que maintenant que tu le dis ?!
- Je suis vraiment désolé, fiston ! Je me suis dit qu’il valait mieux que tu l’apprenne le plus tard possible pour encaisser le "choc".
- Oui mais quand même !
- Oui je sais c’est abusé ! Mais bon... C’est la vie !
- Et quelle vie !
- Oh ! Ne le prends comme ça ! Bon... Je vais devoir te laisser, j’ai du boulot. Rappelle-moi pour me dire si le costume te va bien... Et pour Yumi.
- Oui, je le ferai. A bientôt Papa !
- A bientôt, fiston !

Ils raccrochèrent tous les deux, contents d’avoir pu s’échanger quelques mots. Ulrich retourna voir ses amis qui l’attendaient avec des regards inquisiteurs.

- C’était ton père ? Demanda Aelita.
- Oui. Répondit-il.
- Et vous avez parler de quoi ? Demanda sa petite amie.
- Euh... La sœur de ma mère va bientôt se remarier, et ma mère veut que j’assiste à la cérémonie !
- Tu vas mettre un smoking ? Interrogea Odd.
- Ben... Oui. Pourquoi ?
- Pour rien, je me disais juste que... tu dois être beau en pingouin ! Se moqua-t-il.
- Très drôle ! Rétorqua un Ulrich embarrassé.
- Et c’est quand ? Demanda Yumi.
- Ce weekend.
- Et ben... Ils auraient pu te le dire plus tôt ! Déclara Jérémie.
- Tu l’as dit... En plus, j’ai aucune envie d’y aller.



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A ces mots, la bande reprit son chemin en direction de Kadic tout en plaignant ce pauvre Ulrich, pendant que celui-ci pensait à la manière dont il allait inviter Yumi au mariage de sa tante.

Une fois arrivés, ils vaquèrent tous à leurs occupations, profitant ainsi de leur après-midi de libre : Jérémie et Aelita se rendirent à la bibliothèque pour travailler sur leur exposé, Odd partit à la conquête de quelques cœurs solitaires, Ulrich alla dans sa chambre pour essayer son costume, et Yumi lui promit de le rejoindre, une fois son absence de la semaine dernière (causée par une attaque de XANA) justifiée : ils eurent droit à quelques " remarques bidons d’Odd ", pour cela.
Dans sa chambre, Ulrich trouva une large pochette, fermée par une fermeture-éclair, sur son lit. Il la saisit par le cintre qui en dépassé, et l’ouvrit, pressé de découvrir le contenu qui semblait assez prometteur. Ainsi, l’emballage défait laissa apparaître un magnifique smoking noir composé d’une veste aux allures très chics, d’un pantalon élégant, d’une belle chemise bleu azur, et d’une cravate noir. Le jeune était époustouflé par ce vêtement : jamais il n’en avait porté un aussi distingué. Il se dit que ce mariage lui permettrait au moins de profité d’un aussi beau costume pour une soirée. Il commença à se déshabilla, puis enfila la tenue avec hâte, tout en y faisant attention. Une fois habillé, il tenta, tant bien que mal, de se contempler, arrangeant chaque détail de son bel habit

Je me demande comment Yumi va me trouver, pensa-t-il avec un léger sourire rêveur.

C’est à ce moment-là que la belle japonaise toqua à la porte.

- Je peux entrer, Ulrich ?
- Oui, vas-y.

Elle entra donc, tout en fermant doucement la porte derrière elle. A la vue du beau brun, elle resta complètement immobile, stupéfaite par le charme fou qu’il dégageait dans cette tenue. Effectivement, elle le trouvait plus séduisant qu’à la normale... Et ce n’était pas pour lui déplaire...

- Odd avait raison, finalement ! Dit-elle en se rapprochant de son petit ami avec un sourire charmeur, après avoir retrouvé ses esprits.
- Comment ça ? Demanda-t-il intrigué et amusé, à la fois.
- Tu es très beau en pingouin !
- Ah ah ! Très drôle ! Ironisa-t-il, légèrement vexé.
- Je plaisante ! Je te trouve très beau, très classe, et très... attirant. Enuméra-t-elle en rapprochant son visage au fur et à mesure de celui du jeune homme, jusqu’à pouvoir le saisir délicatement par le col de sa veste, sentir son souffle contre son visage.
- Oui... Et bien, ce n’était pas très amusant, mais... Je connais un bon moyen de te faire pardonner, insinua-t-il en caressant ses lèvres avec les siennes.
- Attends... Je crois savoir.

Et c’est alors que leurs lèvres s’unirent en un baiser amoureux et passionné, Ulrich enlaçant Yumi par la taille, et celle-ci passant ses mains sous sa veste. Le baiser et leurs caresses s’intensifiaient à chaque seconde, créant ainsi, un moment d’intimité et de sensualité très agréable. La jeune fille mit fin au baiser avec douceur, en repoussant très lentement son amoureux qui semblait satisfait par cet échange d’amour et de tendresse.

- Alors ? Suis-je pardonnée ?
- Pardonnée de quoi ?

Elle émit un doux rire, et déposa ses lèvres sur celles d’Ulrich pour un autre baiser plus court.

- Tu es vraiment superbe comme ça ! Mais ta cravate est mal mise.
- Ah ? Je devais être trop pressé.
- Attends, je m’en occupe. Ah ! Vous les mecs ! Faut toujours vous traiter comme des bébé !
- Hé !

Pendant que Yumi lui arrangeait son nœud de cravate, Ulrich la dévisageait avec des yeux amoureux et admiratifs : il était totalement envoûté par la beauté de la japonaise. Quand elle eut fini, elle lâcha un simple " et voilà ". Il prit cela comme un feu vert et la saisit vivement pour lui donner un baiser langoureux et passionné tout en caressant tendrement ses hanches. Il était très inspiré, alors que sa petite amie, bien que comblée, ne pouvait s’empêcher d’être très troublée.

- Euh... C’était pour quoi ça ? Demanda-t-elle les joues rouges tomate
- Pour le nœud... Et parce que j’en avais envie, c’est tout.
- Et bien dans ce cas... Tu devrais porter des cravates de travers plus souvent. Déclara-t-elle avec un sourire malicieux sur les lèvres.
- Merci en tout cas ! Euh... Je voulais te demander un truc.
- Quoi ?
- Euh... Comme je l’ai déjà dit... J’ai pas vraiment envie d’y aller à ce mariage : j’aurai toute la famille sur le dos pendant la cérémonie, et ensuite je devrais finir la fête solo.
- Mon pauvre beau brun. Ironisa-t-elle en lui caressant tendrement la joue.
- Alors... Je me suis dit que... Que...
- Que ?
- Je me suis dit que tu pourrais venir... Avec... Moi.
- Moi ? Au mariage de ta tante ? Ce weekend ?
- Oui je sais que ça fait un peu tard pour t’organiser, mais je pensais que ce serait un bon moment pour être ensemble. En plus... Mes parents voudraient te voir.
- Mais pourquoi ?
- Ben... Parce qu’on sort ensemble !

Ce n’était pas qu’elle n’était pas tentée de dire "oui", mais le problème c’était qu’Ulrich venait d’aborder un sujet assez délicat pour elle : les parents.

- Euh... J’aimerais bien, seulement...
- Seulement ?
- Seulement, il faudrait que Einstein soit d’accord : il y a XANA et tout ça...
- Mais... On ne part que pour une journée, et on sera rentrés dimanche vers midi ! Il comprendra !
- Euh... Oui, d’accord. Mais il y a aussi...
- Aussi quoi ? Si tu ne veux pas, dis-le franchement.
- Non c’est pas ça !
- C’est quoi alors ?
- Euh... Oh ! Tu as vu l’heure ?! Déjà 17h ! Il faut que je me sauve !
- Attends ! Je t’accompagne. Laisse-moi le temps de me changer.

Elle sortit de la chambre pour l’attendre, ne cessant de cogiter.

Comment va-t-il prendre ça ? Moi qui ne voulait pas aborder ce sujet maintenant !

Après ces quelques minutes de réflexion, Ulrich sortit dans sa tenue d’origine, et il se mirent en route, vers la maison de la belle japonaise. Ulrich reprit son interrogatoire devant celle-ci.

- Alors ? Tu ne veux toujours pas me dire pourquoi tu ne veux pas venir avec moi ?
- Je t’ai déjà dit que ça n’avait rien à voir avec toi, Ulrich.
- Si c’est à cause de ma famille... On est pas obligés de rester avec eux tout le temps, tu sais ?
- Oui, il y a la nervosité due au fait de rencontrer toute ta famille, mais pas que ça...
- Qu’est-ce qu’il y a encore ? Demanda le beau brun qui ne comprenait toujours pas sa réaction.
- On... On en parlera demain : je suis fatiguée.
- D’accord.
- Tu ne m’en veux pas ?
- Bien sûr que non. Je t’aime. Répondit-il en lui souriant gentiment
- Je t’aime aussi.

Ils échangèrent leur dernier baiser de la journée. Celui-ci était tendre, doux, et langoureux : Ulrich caressait doucement le visage de Yumi, pendant que cette dernière passait une main dans ses cheveux bruns, et l’autre sur sa nuque. Elle ouvrit lentement ses yeux qu’elle avait fermés machinalement lors du baiser, à l’entente d’un bruit de moteur de voiture : elle reconnut la voiture en question, et mit brutalement fin à leur baiser, en repoussant vivement Ulrich.

- Mais qu’est-ce qui te prend ?!
- Rien... Je... Je suis désolée !

Le propriétaire du véhicule en descendit et Yumi le salua.

- Bonsoir Papa !
- Bonsoir chérie !

M. Ishiyama s’avança vers sa fille pour lui déposer un tendre baiser sur le front.

- Bonsoir Ulrich !
- Bonsoir monsieur. Répondit-il avec courtoisie.
- Que fais-tu ici ? Tu es interne.
- Euh... C’est rien Papa. Il me raccompagnait c’est tout.
- Oui, " c’est tout ". Répéta le jeune homme avec un ton légèrement acide, que Yumi avait senti.
- Bon, et bien... Merci de l’avoir raccompagnée. Répondit-il avec un sourire chaleureux. Yumi tu viens ?
- J’arrive !
- Bien. Bonne soirée, Ulrich !
- A vous aussi monsieur.

Yumi resta quelques secondes devant le portail avant de rentrer pour s’expliquer avec Ulrich, qui avait comprit sa gêne.

- Alors... Tu n’as pas dit à tes parents... Pour nous deux ?
- Ecoute, je suis vraiment désolée ! Je n’ai pas trouvé le temps de leur en parler !
- Depuis deux mois ?!
- Oui je sais ! Bon j’avoue aussi que j’appréhende un peu la réaction de mon père, mais je compte leur en parler... Fais-moi confiance.
- Bon... D’accord. Je... Je dois y aller. Bonne nuit.
- Bonne nuit... T’es pas fâché, hein ?
- Non... Juste... Un peu surpris... Et vexé.

Et sur ces mots, ils se mit en route vers Kadic quelque peu pensif, et Yumi rentra chez elle, espérant qu’il ne le prenait pas trop mal. Ils n’avaient jamais parler du fait de mettre leurs parents au courant de leur relation : pour Ulrich, l’annonce s’était faite avant le début de leur histoire à cause du maudit spectre polymorphe de XANA. Il l’avait faite sous une impulsion, sans en craindre les conséquences, trop pris par la colère qu’il éprouvait pour son père à ce moment-là.

Pour Yumi, c’était un problème qui venait seulement d’elle. La peur de révéler une chose aussi importante à ses parents la tenaillait, et les réactions qu’elle pourrait susciter en eux aussi. Cela faisait environ un an qu’elle disait à ses parents qu’elle voyait quelqu’un, sans jamais divulguer de nom précis. Mais ceci n’était qu’une couverture pour justifier ses retards répétés dus aux attaques incessantes de XANA. Maintenant, que les choses étaient bien concrètes entre Ulrich et elle, elle ne savait toujours pas comment aborder la question.

Bien évidemment elle n’en avait pas honte de sa belle histoire avec Ulrich Stern. Elle avait tout simplement peur de subir le légendaire courroux d’un père beaucoup trop protecteur, et l’interrogatoire désagréable d’une mère inutilement inquiète. Non. Pour l’instant, elle vivait sa petite histoire tranquillement avec ce jeune homme qu’elle trouvait tant exceptionnel, charmant, et attendrissant. Elle était bien, tout simplement.
Mais d’un autre côté... Combien de fois avait-elle rêvé de voir Ulrich assis à sa table, chez elle, discutant avec ses parents qui tenteraient de faire sa connaissance ?

Combien de fois avait-elle eu envie d’exprimer la fierté qui grandissait en elle, en se disant qu’elle sortait avec cet être si particulier, et cher à ses yeux ?... Plein de fois ! Après tout... Cette invitation d’Ulrich était peut-être l’occasion rêvée de soumettre ce sujet simple, et épineux, à la fois, devant ses parents.
Qui sait ?

Ulrich de son côté, n’était pas vraiment rassuré par les très brèves excuses de sa petite amie.
" Pas le temps ? ", " l’appréhension ? " Et lui ? N’avait-il pas eu d’appréhension le jour où il lui a révélé tout ce qu’il ressentait pour elle ?!
Et tout ces mois, où elle disait être enfin heureuse avec lui, ne lui avaient-ils pas suffit ?! Pourtant, il ne pensait pas qu’une telle chose lui travaillerait autant l’esprit. Il avait totalement confiance en Yumi, et il savait bien qu’elle dirait tout à ses parents tôt ou tard. Mais apparemment, quelque chose le gênait ; ce petit détail le tourmentait : n’avait-elle pas confiance en lui ? En eux ? Était-elle prise de doutes ?... Elle ne le paraissait pas, pourtant ! Elle semblait tellement heureuse, et amoureuse.

Alors... Pourquoi toute cette hésitation ?

Ils s’étaient mis d’accord pour faire preuve de discrétion certes, mais de là à cacher leur relation à leurs parents ?! Non. Bien sûr, il serait prêt à expliciter ses intentions envers la jeune femme si jamais la réaction de monsieur et de madame Ishiyama s’avérait négative. Son amour pour elle était bel et bien réel. Un être tel qu’elle ne pouvait pas se contenter d’une minable promesse vaseuse. Il lui fallait un engagement du cœur véritable, et sincère : il lui offrait volontiers, et avec tout le bonheur du monde. Il espérait vraiment que Yumi s’en rende compte, et que tout ses tourments s’envolent pour laisser place à la confiance, et à la sérénité.

Telles étaient les pensées du jeune couple, à ce moment précis.

Perdu dans ses réflexions, Ulrich venait à peine de se rendre compte que ses pas l’avaient machinalement guidé jusqu’à sa chambre, où Odd l’attendait tel un véritable paparazzi.

- Alors ? C’était bien votre dernier moment de la journée en amoureux ? La séparation n’était pas trop dure ? Interrogeait-il avec ironie.
- Odd lâche-moi s’il te plaît, je ne suis pas d’humeur à ça.
- Tu n’es jamais d’humeur à ça.
- Alors arrête si tu le sais déjà !
- Ben non, c’est plus drôle sinon.
- Bon. On va manger ? Rétorqua Ulrich sans noter la dernière remarque de son ami.
- Là tu m’intéresses !

Et les deux camarades deux chambres se rendirent au réfectoire sur ces mots.

- Il est vraiment très gentil !
- De qui tu parles, Papa ?

Voilà déjà quelques minutes que Yumi était rentrée chez. Dans l’espoir d’échapper à un interrogatoire assez gênant, elle avait vivement proposé son aide en cuisine.

- De ton " ami " Ulrich, voyons ! C’est vrai... Il t’as gentiment raccompagnée à la maison, il est poli et respectueux... Je l’aime bien.
- Tu pourrais éviter ce genre d’appréciation ! C’est très gênant ! Lui répondit sa fille.
- Mais ton père a raison, Yumi ! En plus il est charmant : c’est un amour.
- Toi aussi tu t’y mets, Maman ?!
- Il est beau, il est cool, et c’est un champion en arts martiaux. Ajouta son petit frère Hiroki qui descendait les escaliers.
- Mais qu’est-ce qu’il vous prend à tous ? Qu’est-ce que vous avez avec Ulrich à la fin ?! C’est juste un ami !
- " Juste un ami " ? Tu en es sûre ? Questionnèrent-ils d’une seule voix.
- Euh... Oui. Parvint-elle durement à répondre.
- Vraiment sûre ? Insistèrent-ils.
- Et bien... En fait... Il y a quelque chose que je voulais vous avouer.
- Quoi ?
- Euh... Depuis deux mois... Ulrich et moi nous...
- Vous ?
- Nous... Sortons ensemble. Finit-elle par sortir dans un soupir de soulagement.

Ils restèrent tous les trois médusés face à elle. Dans leurs yeux, Yumi pouvait lire la surprise et la stupéfaction... Mais... Où était donc la colère à laquelle elle s’attendait. Celle qui animait des parents à qui on cachait la vérité sur l’existence d’un petit copain depuis deux long mois ?!

- Enfin ! S’exclama le père.
- Il était temps ! Fit la mère.
- Ça y est ! Elle a vendu la mèche ! S’enthousiasma le frère.
- Mais ? Vous avez l’air... A peine surpris... Comme si...
- Comme si nous le savions déjà ? Ironisa Hiroki.
- Yumi... Nous devons t’avouer quelque chose nous aussi. Commença le père.
- Cela fait quelques temps que nous sommes au courant pour ta relation avec Ulrich. Acheva la mère. "

Au courant ?! Ils étaient donc au courant ! Mais où, quand, qui, comment ? Toute cette inquiétude pour rien ! C’était comme aux échecs : quand l’adversaire a un coup d’avance sur vous.

- Depuis quand ? Et... Comment ?! Demanda-t-elle avec une voix qui trahissait son irritation et sa surprise.
- Depuis trois semaines. Répondit posément M. Ishiyama. Nous vous avons surpris en train de vous embrasser par la fenêtre qui donne sur le portail.
- En fait, au début, c’est Hiroki qui nous a informés de ça. Enchaîna Mme Ishiyama. Mais nous ne l’avons pas cru, pensant qu’il le disait pour t’embêter.
- Je... Vois. Et ça ne vous... Dérange pas que je sorte avec Ulrich ?

Bon. Son aveu n’en était pas vraiment un, mais maintenant que le fameux sujet était d’actualité, autant demander leur avis.

- Et bien... Je te mentirais si je te disais que je n’ai pas été tenté de sortir en trombe de la maison pour vous réclamer quelques explications. Mais finalement... Je t’ai vue si heureuse avec ce garçon que je me suis dit que vous méritiez une chance tous les deux. Donc, j’attendais que tu viennes nous en parler.
- Oui c’est vrai, Yumi. Compléta sa mère, tu as l’air très épanouie et nous en sommes ravis. D’ailleurs... Nous voudrions, ton père et moi, faire la connaissance de ce jeune homme, au cours d’un repas à la maison.
- Ben... Oui ! Oui, avec plaisir. Et je suis sûre que ça lui fera plaisir à lui aussi.
- Il va pouvoir faire son numéro devant ses futurs beaux-parents comme ça, hein ? Lança son frère avec un clin d’œil sournois.
- Tais-toi, toi ! Euh... En parlant d’invitation et de beaux-parents... Ulrich m’a invitée à assister à un mariage.
- C’est pas un peu tôt pour vous deux ? Il ne faut pas brûler les étapes.
- Très drôle, Hiroki ! C’est le mariage de sa tante et ça a lieu ce weekend.
- Eh bien... Si tu penses pouvoir t’organiser je n’y voit aucune objection. Accorda son père.
- Oui, et si jamais tu as besoin d’un petit coup de main n’hésite pas à me demander ma chérie.
- Merci Man’, merci Pa’ ! Vous êtes supers ! Bon... On va manger ?

Et sur ces bonnes paroles, toute la famille nippone s’attabla pour déguster de délicieux sushis.
A Kadic, les élèves avaient fini de souper depuis peu. Aelita, Jérémie, Ulrich et Odd se dirigèrent vers leurs chambres respectives pour rejoindre les bras de Morphée. Mais avant, Odd le blondinet à pointe comptait bien titiller son camarade de chambre...

- Au fait, tu ne m’a pas répondu. Comment ça s’est passé avec ta belle japonaise ?
- On s’est légèrement disputés si tu veux tout savoir ! lâcha Ulrich avec un ton amer.
- Oh ? Et... C’est grave ?
- Non pas trop.
- Ben alors pourquoi t’es énervé comme ça ?
- Parce que ta curiosité intempestive commence à m’exaspérer ! Bonne nuit !
- Bonne nuit... Et... T’es sûr que ça va entre vous ?
- Tout va bien : j’ai été stupide... Comme d’hab’ ! ajouta-t-il avec un léger sourire en coin.
- Tu m’étonnes ! Fais de beaux rêves, vieux !
- Toi aussi... Maigrichon !
- Svelte ! protesta le blondinet.

Et c’est sur cette touche d’humour que les deux compères mirent fin à leur conversation pour se laisser aller dans bras réconfortants du dieu du sommeil.
Dans l’obscure clarté de ses songes, Ulrich ne voyait que sa très chère Yumi.




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Sans transition, ni explication : un bond de quinze années vers le passé qui nous emmène au jour d’un heureux événement...

Hôpital St Matthews (Paris)
5 mai
Chambre 173 (1er étage)

Le docteur Galloway avançait vers nous avec un nourrisson enveloppé d’un fin drap blanc confortablement installé dans ses bras.
Notre nourrisson ! Notre bébé !

Je vivais le deuxième plus beau jour de ma vie. Mon enfant était venu au monde ! Jamais ma femme n’aurait pu m’offrir de plus beau cadeau que lui : je l’embrassai donc tendrement sur le front pour l’en remercier et pour la féliciter de tous ses efforts accomplis lors de sa grossesse. Avec cet être si pur et si précieux entre ses bras et sa longue blouse blanche, Galloway ressemblait à un Dieu vivant descendu des cieux pour le déposer sur cette Terre. Et bien que je ne sois pas croyant, j’étais bien obligé d’admettre qu’à ce moment-là, il était comme un Dieu pour moi, car il venait de mettre mon merveilleux bébé au monde.

Il le déposa sur le ventre encore légèrement arrondi de mon épouse et nous pleurâmes et rîmes de joie... C’était trop beau ! On le caressait tout doucement, du moins on essayait : nous craignions de lui casser quelque chose, tant il semblait innocent et fragile. Mais au fait... Fille ou garçon ? Nous ne le savions pas (elle a tenu à garder la surprise et moi j’ai cédé... Comme d’hab’). Elle m’accorda le privilège de la découverte et je m’exécutai sur le champ : sous le tissu blanc se trouvait la réponse, et celle-ci m’arracha un grand sourire rempli de fierté.

- C’est un garçon ! M’écriai-je.

Le sexe du bébé n’avait aucune importance pour moi, mais je devais avouer que j’étais assez content du résultat. Les yeux de ma femme s’embuèrent une nouvelle fois de larmes. Notre fils était là et il semblait en excellente santé. Que demander de plus ? En effet, ce bébé si exceptionnel venait parfaire un bonheur déjà existant : j’avais épousé la femme que j’aimais, dès la fin de nos études universitaires, et ma carrière dans le droit s’annonçait prometteuse. Notre mariage fut le premier plus beau jour de ma vie. J’étais un homme, un mari, et maintenant, un père comblé. Ça faisait trop de bonheur à emmagasiner d’un coup, mais Dieu que c’était bon !

Nous admirions inlassablement la magnificence de notre petit bonhomme : il avait mon nez, sa bouche, mes mains, ses yeux, mes cheveux... Un mélange parfait de nous deux. Après avoir couper le cordon ombilical à l’aide de la paire de ciseaux fournie par une des sage-femmes, c’est avec grand regret que nous nous sommes vus contraints de le laisser à la charge de quelques médecins pour effectuer des examens de routine.

Qu’il était beau... Notre fils. Mais... Au fait... Comment allons-nous l’appeler ?




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Le sommeil, l’esprit qui voyage, vagabonde on ne sait où. Au fait... Connaissez-vous le mécanisme des songes ?
Une nuit de sommeil est composée de deux phases qui se suivent de manière cyclique : le sommeil lent et le sommeil paradoxal. C’est au cours de ce dernier, lorsque le cerveau est actif et le corps détendu, que les songes nous viennent ou que nous venons à eux. Songes forgés par l’imaginaire, le vécu, le ressenti, le subconscient. Néanmoins, le fait que nous soyons plongés dans un monde à part ne nous empêche pas d’être une partie intégrante du monde qui nous entoure : notre perception n’est seulement qu’amoindrie. Le sommeil ; certains voudraient le vivre éternellement, d’autres voudraient l’écourter pour vivre réellement, et d’autres encore auraient peut-être mieux fait d’en profiter pleinement pour ne pas se voir obligés de le subir éternellement...
C’est ce que pourraient se dire les Lyoko-guerriers risquant leurs vies tous les jours. D’ailleurs... 6:59:57... 6:59:58... 6:59:59... ... 7:00:00 !!!
C’était l’heure ! L’heure pour Yumi, Ulrich, Jérémie, Aelita et Odd d’attaquer une nouvelle journée. Ils se levèrent tous à l’entente de la sonnerie démoniaque de leur réveil. Se lever, aider Odd à le faire pour Ulrich, se doucher, s’habiller, aller déjeuner constituaient les actions habituelles du rituel matinal. Aujourd’hui, Ulrich décida d’y ajouter une nouvelle étape : accueillir Yumi au portail de Kadic. Il se prépara donc à la hâte et passa vivement sa main dans ses cheveux en bataille pour calmer les troupes.

- T’es pressé ? Lui demanda son compagnon de chambre.
- Oui, je vais voir Yumi.
- Vous allez vous rabibocher ?
- Oui. Lâcha Ulrich très content.
- Bonne chance alors !
- Merci !

Il sortit de la chambre et se dirigea vers l’entrée du collège le cœur battant.
Yumi se dirigeait vers son lycée légèrement anxieuse par rapport à sa conversation d’hier soir avec son petit ami. Mais maintenant qu’elle avait tout dit à ses parents, elle pouvait regarder Ulrich dans les yeux, sans rien lui cacher. Soudain, quand elle vit le beau jeune homme l’attendre devant le portail, un immense sourire illumina son visage et elle accéléra ses pas vers lui jusqu’à lui faire face. Il lui destina un sourire chaleureux à son tour pour qu’elle comprenne que l’incident de la veille était oublié et qu’il l’aimait plus que jamais. Malheureusement pour eux, les regards des autres élèves, avides de les voir s’embrasser fougueusement devant eux ne cessaient de les fixer : les amoureux ne leur donnèrent pas ce plaisir, et après avoir échangé un clin d’œil complice, ils se dirigèrent ensemble vers le réfectoire pour prendre le petit-déjeuner avec leurs amis qui étaient ravis de les voir heureux.
Après les premiers cours de la matinée, Yumi et Ulrich se retrouvèrent dans le gymnase pour " s’entraîner au Pentchat-Silat ".

- Ulrich ! Je te signale qu’on est en plein milieu d’un combat ! Hurlait-elle en riant aux éclats tandis que son petit ami l’embrassait passionnément.
- Ben quoi ?! Tu connaissais pas cette technique ? Rétorqua-t-il en continuant.

Quelques secondes après, ce dernier se retrouva parterre, la jolie japonaise au-dessus de lui après lui avoir fait un croche-patte.

- Moi, je pense que cette technique est plus réglementaire. Dit-elle triomphante et morte de rire en même temps.
- Attends, j’ai pas dit mon dernier mot, répondit-il en la saisissant vivement par la nuque d’une main, et par la taille de l’autre pour lui donner le plus intense et le plus délicieux des baisers.

Yumi n’y opposa (bien sûr) aucune résistance, complètement envoûtée par le romantisme assez original que dégageait cette situation. Elle était tellement prise dans ce baiser qu’elle ne se rendait pas compte qu’Ulrich la faisait lentement tourner sur le dos pour se retrouver au-dessus d’elle.

- J’ai gagné ! Déclara Ulrich en plein milieu de leur baiser passionné.
- Mais c’est de la triche ! Ce combat n’est pas loyal ! dit-elle en rigolant et en se laissant faire à la fois.
- Allons ! Ne sois pas de mauvaise foi ! Faisons l’amour et pas la guerre !

Un hoquet d’étonnement échappa à Yumi à l’entente de ces paroles. Quand le beau brun réalisa le sens de sa blague, il arrêta brusquement le baiser, paniqué.

- C’est pas ce que je voulais dire !
- J’espère bien pour toi ! Ou sinon je me voyais déjà t’envoyer un coup de genou dans l’entre-jambe pour te remettre les idées en place !
- T’es sérieuse ? Demanda le jeune homme inquiet.
- Bien sûr !
- Bon. Alors je vais me lever. Dit-il en s’exécutant.
- Fais donc ça ! Fit-elle amusée par la réaction d’Ulrich.
- Au fait, mon père viendra nous chercher vendredi soir. Euh... Tu as parlé avec tes parents ?
- Oui. Je ne t’ai pas raconté c’est vrai. Ça a été une sacrée soirée !
- Quoi ? Ils étaient contre notre relation ? Interrogea-t-il inquiet.
- Non. Bien au contraire !
- Ben tant mieux alors.
- Et j’ai déjà trouvé ce que je vais mettre !
- Ah ? Et c’est quoi ? Demanda-t-il avec un ton coquin et curieux, et un regard (un peu) lubrique.
- Tu y tiens à mon coup de genou ?
- Non pitié !

Et il se précipita sur elle en faisant semblant de la supplier de ne " pas lui faire mal " et en la chatouillant inlassablement.
Le gymnase fut ainsi témoin des rires et de la complicité de deux jeunes gens follement amoureux l’un de l’autre.

Puis, vendredi soir arriva. Le père et le fils Stern se dirigeaient vers la maison des Ishiyama en voiture.

- Au fait, Ulrich. Ta mère nous a préparé un bon dîner pour ce soir !
- Hein ?! Fit-il paniqué. Tu sais bien que les mots " Maman " et " bon dîner " n’ont rien à faire dans une même phrase !
- Hé ! N’exagère pas non plus ! Elle a pris des cours de cuisine depuis quelques jours... Histoire de se détendre un peu.
- Pourquoi serait-elle tendue ?
- Et bien... Tu sais... Le boulot, le mariage et tout ça... Répondit son père légèrement troublé et fuyant.

Ulrich n’insista pas et lui fit signe qu’ils étaient juste en face de la demeure japonaise. A l’intérieur de celle-ci, Yumi vérifiait une dernière fois si elle n’avait rien oublié tandis que ses parents venaient d’apercevoir la voiture blanche de Sebastian Stern.

- Yumi dépêche-toi ! Ils arrivent ! La pressa son père.
- Calme-toi Takeo ! Il ne vont pas partir sans elle.
- Je sais Akiko, mais quand même ! Dit-il à sa femme.
- C’est bon Papa, je suis prête. Pas la peine de t’affoler !

Soudain, la sonnette retentit.

- C’est bon ! Je vais ouvrir ! Se proposa Hiroki.

Quand le petit japonais ouvrit la porte, Ulrich et son père se tenaient juste en face de lui, le même sourire chaleureux sur le visage.

- Salut Hiroki !
- Bonsoir jeune homme.

Le père et la mère d’Hiroki les rejoignirent à l’entrée et après quelques "bonsoir" et poignées de main échangés, ils invitèrent les Stern à pénétrer chez eux. Yumi était déjà dans le salon secrètement impatiente de voir son petit copain et de faire la connaissance de son " futur beau-père " comme disait Odd.

- Bonsoir M. Stern. Lança-t-elle avec entrain de manière à ce qu’on ne puisse déceler le stress qui montait en elle petit à petit.
- Bonsoir Yumi ! Enchanté de pouvoir enfin faire ta connaissance, depuis le temps qu’on entendait parler de toi. Et appelle-moi Sebastian. Dit-il sur un ton doux et rassurant.
- D’accord... Sebastian. Et ravie aussi de vous rencontrer. Répondit-elle nerveuse.

Le père d’Ulrich avait vraiment beaucoup changé : l’homme qu’elle voyait aujourd’hui n’avait plus rien à voir avec celui qui ne cessait de traiter son propre fils de bon à rien. Il semblait plus calme et serein, comme si... Un poids lui avait été retiré. Sans doute était-ce dû à l’amélioration de ses relations avec Ulrich ? D’ailleurs, ce dernier, de son côté, ne pouvait s’empêcher d’afficher un petit sourire joyeux sur son visage : il était vraiment content de voir sa petite amie et son père s’entendre aussi bien. Il avait même l’impression que ce serait le cas avec toute la famille Ishiyama.

- Euh... Ulrich et Sebastian ? Vous voulez boire quelque chose avant de repartir ? Proposa Takeo.
- Avec plaisir. Répondirent-ils d’une même voix.

Tout le monde s’installa à la table basse du salon pour déguster un très bon thé fait par la mère de Yumi. C’était l’occasion d’engager la conversation.

- J’aime beaucoup la décoration de votre maison ! Le style asiatique, et notamment le japonais, m’a toujours impressionné. Complimenta le père d’Ulrich.
- Merci beaucoup. Répliqua Akiko. Et vous, vous êtes bien d’origine allemande à ce que j’ai compris ?
- En effet. J’ai quitté l’Allemagne pour suivre mes études à Paris.
- Et vous avez de la famille là-bas ?
- Euh... oui. Mais... mes histoires de famille sont assez... compliquées. Répondit-il avec une pointe d’amertume.
- Oh, mais elles le sont dans toutes les familles vous savez ! Dit le père de Yumi pour détendre l’atmosphère.

Ce qui fonctionna d’ailleurs, puisque tout le monde émit un petit rire approbateur.

- Et ce mariage auquel vous allez assister, c’est celui de votre belle-sœur ? Demanda-t-il.
- Oui. Enfin... Si on peut vraiment appeler ça un mariage. Affirma-t-il en explosant presque de rire tout en lançant un regard complice à son fils.
- Papa... Fit Ulrich en essayant de rester sérieux. C’est pas le moment !
- Sebastian ? Vous pensez que ce mariage ne tiendra pas ? Interrogea la mère de Yumi intriguée par le comportement de l’Allemand.
- Excusez-moi, ça m’a échappé. Fit-il en se calmant complètement. Mais ce n’est pas que je " pense " que se mariage ne va pas durer, mais qu’il NE VA PAS durer : demain, nous n’allons assister qu’au prologue de la future déception amoureuse de ma belle-sœur !
- Elle est si malchanceuse que ça en amour votre belle-sœur ?
- Non ! Au contraire ! Ce sont tous les hommes qu’elle a fréquenté qui sont malchanceux ! Déclara-t-il mi-moqueur, mi-sérieux.
- Je vois ce que vous voulez dire. Se mêla Takeo. C’est dur pour moi aussi avec ma belle-famille.
- Takeo ! S’indigna sa femme.

Et tout le monde se remit à rire à cette petite querelle des époux Ishiyama, et on pouvait voir une certaine entente s’installer entre les deux pères de famille, " tyrannisés " par leur belle-famille respective. Mais malheureusement, ce bon moment devait s’achever : il était l’heure pour Yumi, Ulrich et son père de partir. Le jeune homme se chargea donc de porter le sac de sa petite amie jusqu’à la voiture, tandis que les parents se saluaient très chaleureusement. Ils avaient passé un très bon moment avec Sebastian, qui avait dévoilé une personnalité sympathique et décontractée. Bref : très différente de celle qu’il laissait paraître au premier abord. Ce dernier leur assura qu’ils seraient de retour dimanche après-midi et leur confia son numéro portable pour rester joignable à tout moment. Akiko, Takeo et Hiroki embrassèrent Yumi et lui souhaitèrent de passer un bon weekend.
Les adolescents montèrent tous les deux à l’arrière, tandis que le père enclenchait le moteur de sa belle voiture blanche et entama le trajet, non sans adresser un dernier signe aux Ishiyama qu’il avait trouvé fort amicaux.



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15 ans avant tout cela


16 Rue Weber à Paris
12 mai
Dans un appartement au 2ème étage.

Ça y est fiston te voilà chez toi !

Une semaine après la naissance de notre petit garçon, nous retrouvions ma femme, notre p’tit gars et moi, notre petit nid d’amour où nous avons vécu les deux dernières années de notre paisible petite vie. Cet appart’, j’ai eu un mal fou à le dégoter ! En effet, c’était pas avec nos deux petits salaires qu’on trouverait grand chose sur le marché parisien. Heureusement, on a eu beaucoup de chance : l’appartement était éclairé, bien situé, et assez grand pour tout le monde. Ce fut ainsi que j’avais pu faire la chambre de notre bout de chou. Mais comme madame ne voulait pas connaître le sexe du bébé, pour " avoir la surprise ", on a dû pas mal cogiter pour la couleur ! On a fini par choisir vert anis, une couleur reposante et joviale à la fois. Simple mais efficace... C’était un peu la devise de notre couple d’ailleurs.

Effectivement, après avoir vécu une enfance difficile avec mes parents et le reste de ma famille dans mon pays natal, j’ai dû compter sur mes propres ressources de gamin de huit ans pour vivre -survivre, plutôt-. Mes années de collège et de lycée, je les ai vécues en tant qu’élève discipliné, sérieux, apprenant parallèlement le français tout seul,et motivé par le désir farouche de m’en sortir et de ne pas toucher le fond, malgré mon environnement hostile. Ce fut donc à l’âge de dix-huit ans que j’arrivai en France pour me former au métier que je voulais exercer : procureur ! Un rêve qui résonnait plutôt comme le glas d’une revanche sur une vie gâchée. Un vie dans laquelle je ne faisais jamais confiance à personne, pas même à un adulte. Un rêve ou plutôt un besoin de punir ceux qui gâchent d’autres vies. Punir une partie de moi-même. J’avais besoin d’être l’acteur qui rendrait justice aux pauvres victimes, non pas que je sois un grand philanthrope, mais partir à la chasse aux grosses brutes, aux escrocs et aux salopards qui faisaient subir les pires choses aux plus innocents m’excitait à un point culminent qui frôlait l’Himalaya. Et quel meilleur métier que celui de défenseur de la Justice pour tâtonner cet espoir délirant ?! Celui de nettoyer la Terre des salopards ! Bien sûr, le métier de flic aurait tout aussi bien convenu... Mais voilà, j’ai une sainte horreur des armes à feu...

Au cours de mes études, j’ai multiplié les rencontres et créé, pour la première fois de ma vie de jeune homme, de véritables liens : des liens d’amitié avec quelques gars sympas ; des liens quasi-familiaux avec certains profs qui me soutenaient ; et des liens affectifs très forts. Jamais de ma vie je n’avais éprouver de tels sentiments pour une autre personne, c’était invraisemblable ! Elle avait une silhouette, un corps, un visage, des cheveux, des yeux, une bouche, et surtout un rire magnifiques qui lui auraient valu le titre de déesse ! Cette femme, j’en était sûr, il n’y en avait pas deux comme elle.

Au départ, on se cherchait : je jouais le " bon copain " à qui elle pouvait se confier, et elle faisait la " fille sérieuse " dont on pouvait très facilement tomber amoureux. Ce fut un jour, dans le parc voisinant la faculté, que nous nous sommes regardés droit dans les yeux, conscients qu’une simple amitié ne pourrait jamais assouvir notre besoin de l’autre. Je lui ai dit les mots qu’on ne pouvait écrire qu’avec l’encre du cœur, mes sentiments. Dans la timidité la plus innocente, j’avais osé déposer ce qui fut notre premier baiser sur ses lèvres tremblantes. Dans un geste incontrôlé, elle m’avait retenu par le bras. Dans un élan d’amour infini, je l’ai embrassé plus langoureusement une seconde fois. Dans une passion et une fougue presque sauvages, nous avons fini enlacés l’un à l’autre pour assouvir notre désir charnel.

Ce furent cette même passion et cette même fougue qui nous menèrent à nous revoir encore, et encore, et encore. Puis à nous marier cinq ans plus tard pour nous jurer de nous aimer encore, et encore, et encore... Enfin, à concevoir cet être si parfait, deux ans plus tard, que nous aimeront toujours, et toujours, et toujours plus.

Il était justement en train de découvrir sa nouvelle maison : déjà curieux à cet âge ? Mon fils est un futur génie ! Il est sage et très calme. Je ne comprenais pas tout ces pères qui avaient du mal avec leur bébé.

Ah ? Il fallait le changer. Je dis à ma femme de me laisser m’en charger pour qu’elle puisse se reposer un peu. Elle semblait inquiète, mais je ne voyais vraiment pas la difficulté de changer la couche d’un petit bout de chou ! Trop faci... Quoique... Il venait juste de me pisser à la figure alors que j’étais en train de lui enlever la couche sale !




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Retour dans notre présent

Yumi et les deux Stern n’étaient plus qu’à quelques pas de la porte d’entrée. Après environ une demi-heure de trajet en voiture durant lequel la jeune fille a pu discuter de manière décontractée avec Sebastian et Ulrich, cette dernière espérait que cette occasion lui permettrait de connaître un peu mieux son tendre amour qui ne pouvait s’empêcher de conserver une part de mystère, malgré l’évolution de leur relation.
Le petit " clic " provoqué par l’ouverture de la porte d’entrée la sortit de ses pensées. Machinalement, elle balaya son entourage d’un regard attentif : elle pouvait constater qu’un grand jardin bien entretenu environnait la maison ni très grande, ni très petite de la famille Stern. C’était une maison assez banale, mais qui ne manquait pas de cachet. Ce qui attira ensuite son attention, ce fut le grand arbre au fond du jardin qui s’élevait fièrement exposant les feuilles vertes et sombres de ses branches, dans tous les sens.

Tout de suite, elle se dit avec un petit sourire aux lèvres qu’Ulrich, enfant, devait être terrifié rien qu’à l’idée de s’imaginer au sommet du grand végétal, du fait de son vertige, mais qu’il devait beaucoup apprécier son ombre lors des périodes estivales. D’un coup, sans comprendre pourquoi, un enfant brun portant un petit caleçon et un petit tee-shirt qui convenait parfaitement à sa petite taille lui apparut. C’était Ulrich avec environ dix ans de moins. Il riait, courrait et sautillait dans tous les sens pour fêter l’été et son soleil, content de pouvoir profiter d’eux pendant quelques mois de repos avec ses parents. Elle devina ensuite un homme, son père, se tenant au barbecue juste à quelques mètres de lui répétant sans cesse au petit garçon de faire attention de peur qu’il ne se fasse mal ou bien que par la pire des maladresses, il ne heurte le barbecue déjà brûlant à souhait. Puis elle entendit une voix féminine approuvant les ordres du père : celle de sa mère. Cette dernière s’attelait à la préparation d’une belle salade multicolore de par la rougeur des tomates, la verdure de la laitue, le léger filet presque fluo d’huile d’olive et les quelques dés blancs de mozzarella qui la composaient pour l’entrée ; et un énorme plateau de frites qui devait accompagner les quelques merguez, entrecôtes, et autres viandes que son mari étaient en train de faire cuire.
Pendant ce temps, " Ulrich " jouait avec son ombre. Ne plus aller à l’école n’était pas la seule raison qui faisait que l’été était sa saison préférée. Effectivement, c’était aussi pour lui l’occasion de retrouver pour des journées entières sa plus fidèle amie, son ombre. Il était sûr que quoiqu’il fasse et où qu’il aille, elle serait toujours là prêt de lui comme un être rassurant qui vous suit partout pour vous faire comprendre que vous n’êtes pas seul et qu’il va vous protéger. Le but du jeu du petit Stern était d’attrapait la masse sombre. Mais au fond, il savait bien que cela n’arriverait jamais, et que sans lumière elle pouvait disparaître à tout moment. C’est pas bête un enfant à cinq ans. Mais cette particularité de son amie l’ombre le rassurait en quelque sorte : il savait que son " jeu" ne prendrait jamais fin, et qu’à part la nuit et un temps nuageux rien ne pourrait " tuer " son amie. Il se perdait donc dans ce " jeu " interminable avec son " amie " fidèle qui le suivait partout, comme un ami imaginaire que seul lui pouvait voir, mais qu’il aimait beaucoup tout de même.
Spectatrice d’un souvenir qui n’avait probablement jamais existé, Yumi ne put s’empêcher de penser qu’elle ne " voyait " rien d’autre qu’un enfant qui s’amusait tout seul dans son jardin.

Seul, solitude, solitaire...

Soudain, une voix dont ses tympans adoraient les caresses, l’interpella.

- Yumi ? Tu viens ? Lui demanda Ulrich. A quoi tu pensais ?
- J’essayais juste de t’imaginer en train de jouer seul dans le jardin étant enfant. Mais au fait ? Tu ne te sentais pas trop seul justement ?
- Comment ça " trop seul " ? Répondit-il perplexe devant cette question qui touchait grandement son passé.
- Et bien... Tu es fils unique. Alors je pensais que...
- Non. J’aimais bien jouer tout seul, trancha-t-il d’un ton neutre. Et puis... j’avais des copains d’école qui venaient. Compléta-t-il tout de suite après avec un sourire qui semblait nostalgique.

Yumi le reconnaissait bien là. Toujours désireux de conserver une part de mystère autour de sa personne. Mais elle était tout de même heureuse de constater que malgré cela, il lui ouvrait et offrait quotidiennement et sincèrement son cœur en tant que petit ami. Il le lui prouva d’ailleurs à cet instant-même en lui déposant un tendre baiser sur la joue.

- On rentre ? Lui demanda-t-il comme pour échapper à un éventuel interrogatoire.
- Oui. Fit-elle simplement.

Une fois dans le hall d’entrée, la jeune japonaise eut une impression étrange. Elle imaginait une ambiance un peu plus sinistre et froide comme le laissait paraître les manières hautaines et dédaigneuses de Sebastian d’il y a quelques mois. Et là, elle se retrouvait dans une maison tout ce qu’il y a de plus banal : bien rangée, bien décorée, où il faisait bon vivre. En bref, la maison idéale où l’on aurait envie de vivre une belle vie de famille. Mais peut-être que tout ceci n’était qu’une apparence ? Les quelques photos de famille fièrement accrochées aux murs confortaient plutôt une réponse négative. On pouvait y voir quelques moments de complicité familiaux très forts, chez la famille Stern : Ulrich et son père se tenant face à la mer, à la plage, sourire aux lèvres et mains inséparables ; Ulrich et sa mère au sortir d’un tour de grande roue qu’ils semblaient avoir apprécié tout les deux ; et puis d’autres avec toujours le même enfant unique joyeux avec ses parents fiers et heureux. Mais une chose chiffonna Yumi au plus haut point : sur ces photos, son petit-ami ne devait avoir qu’à peine trois ou quatre ans. Qu’en était-il des onze ou douze dernières années qu’il avait vécue ? Cela voudrait-il dire que durant ces dernières, aucune manifestation de joie au sein de la famille n’avait pu être immortalisée pour figurer sur le mur de l’entrée ?
Cette pensée la rendit secrètement triste.

- Bonsoir Yumi. Je vois que tu es très absorbée par ses vieilles photos. Ulrich était très mignon, non ? Lança une voix féminine d’une douceur exquise et agréable.

Quand elle se retourna, elle pouvait voir que cette voix si agréable à entendre n’était autre que celle de la mère d’Ulrich dont le visage affichait un sourire accueillant et généreux.

- Bonsoir madame Stern. Je... Je me disais juste que... Ça me faisait tout drôle de voir des photos de lui à cet âge-là.
- Oh ! Mais il n’a pas tant changé que ça. Dit-elle en riant.
- Hé ! Je suis juste à côté je te signale ! J’entends tout ce que vous dites ! S’insurgea le concerné les joues rouges de honte.
- Mais je plaisante, tu le sais bien. Fit la mère en embrassant tendrement son " petit garçon ". Au fait, Yumi... Tu peux m’appeler Jeanne.
- Euh... D’accord.
- Chérie ? Le dîner est bientôt prêt ? Parce que j’ai une faim de loup !
- Pas encore ! Au lieu de penser à ton estomac va plutôt ranger ton bureau en attendant : je n’en peux plus de voir ce bazar !
- D’abord ce n’est pas un " bazar ", mais un " bordel organisé ". Et ensuite, savais-tu que le désordre était une forme d’organisation qui se manifeste chez les êtres intellectuellement supérieurs ?
- Arrête de raconter des bêtises, Seb ! S’il y a vraiment un "être intellectuellement supérieur" dans cette maison je suis certaine que ce n’est pas toi ! Alors maintenant va faire ce que je t’ai dit ! Gronda Jeanne avec un ton autoritaire qui ne laissait aucune place à la discussion.

Sebastian partit se mettre à la tâche ne voulant pas contrarier sa femme au caractère aussi bouillant qu’une cocotte-minute sous le regard amusé des deux jeunes qui se délectaient de ce petit dialogue.
Puis elle se tourna vers son fils pour lui annoncer que la chambre d’ami était en pleine rénovation, et la troisième chambre aussi. Ne restaient plus que la sienne et celle de ses parents.

- Vous vous êtes enfin décidés à refaire la troisième chambre ? Questionna Ulrich avec un ton qui trahissait sa surprise.
- Oui en effet, répondit simplement sa mère. Bon je repars en cuisine pour terminer le repas et je te laisse t’arranger avec Yumi pour savoir où vous allez dormir.

Elle fila aussitôt en cuisine sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit. Le beau brun entraîna alors la jolie japonaise vers sa chambre tout en portant son sac. Ils montèrent quelques marches d’escalier pour atteindre l’étage supérieur où se situaient les quatre chambres qui débouchaient toutes sur un même corridor. Les adolescents longèrent le long couloir jusqu’à arriver à la dernière porte à gauche qui menait à la chambre d’Ulrich. Yumi lui souffla qu’elle avait hâte de voir à quoi pouvait bien ressembler sa " tanière ". Après lui avoir fait remarquer qu’il n’avait rien d’un ours, Ulrich lui assura que sa chambre était toujours impeccablement bien rangée et que celle qu’il occupait à Kadic ne l’était jamais à cause de son cher colocataire, Odd, et de son infernal chien, Kiwi.
Une fois à l’intérieur de la chambre, Yumi scruta le moindre détail de la pièce avec l’espoir de capter un peu plus l’intimité de la personne de son petit ami à travers eux. Ulrich la regardait faire, amusé, se demandant comment le lit simple et sa table de chevet, la commode banale, le bureau et son fauteuil, la bibliothèque, qui l’étaient tout autant, et les quelques posters représentants de grands champions de Penchat-Silat ornant les murs peints en bleu, pouvaient bien la renseigner sur sa personnalité.

- Alors ? Déçue ?
- Oui et non. D’un côté je trouve ta chambre extrêmement banale, et ça m’ennuie. Mais d’un autre, ce côté simple te correspond très bien. Rétorqua-t-elle en lui souriant malicieusement.
- Je suis un garçon simple, qui aime les choses simples. Et là... J’ai simplement envie de t’embrasser. Répondit-t-il en approchant doucement ses lèvres des siennes.
- Moi aussi.

Et sur ces mots, leurs bouches s’unirent en un tendre baiser rythmé par le mouvement de leurs langues et de leurs mains qui se caressaient avec douceur et ivresse.

- Je t’aime. Laissa échapper Yumi entre deux baisers.
- Je t’aime aussi... Je suis fou de toi...

Un sourire se formait lentement sur ses lèvres à l’entente de ces mots, et comme pour les prouver, Ulrich resserra son étreinte et laissa aller sa langue un peu plus profondément dans la bouche de sa petite amie qui en réponse gémit doucement, envahie par une petite vague de plaisir qu’elle sentait monter de seconde en seconde. La sentant faiblir sous le poids grandissant de ce ravissement, Ulrich la fit s’allonger doucement sur son lit et s’installa à côté d’elle sans jamais la lâcher ou stopper leur élan amoureux qui n’en finissait pas. Ses lèvres dérivèrent ensuite vers la commissure des siennes puis vers sa nuque. Emportée progressivement par la vague qui se faisait maintenant tourbillon, elle laissa planer le prénom du beau brun dans un murmure sensuel, puis encore une fois dans un soupir étouffé par un tendre baisé de l’appelé qui mourrait d’envie de faire durée ce moment. Il chuchota à son tour le nom de son aimée au creux de son oreille tout en se mettant inconsciemment au-dessus d’elle. Le son de sa voix grave, mais douce et mélodieuse la fit se cabrer légèrement en rejetant sa tête vers l’arrière non sans pousser un autre soupir exprimant l’état d’excitation dans lequel elle se trouvait. Les mains d’Ulrich entourant son dos et les siennes sa nuque, ils abîmèrent chacun leur regard dans celui de l’autre pour y percevoir le désir et l’amour qu’ils se destinaient, puis ils fermèrent les yeux et s’embrassèrent encore une fois, très passionnément.

Cocktail d’hormones déferlant dû à l’âge ou fougue passionnée et amoureuse, Ulrich et Yumi étaient dans un état second de béatitude et de tendresse jamais encore atteint depuis ces deux derniers mois. Deux mois : période bien courte pour un tel dénouement dans la relation de ces deux jeunes gens possédant une pudeur et une retenue morale toujours irréprochables... Jusqu’à présent. L’élan amoureux petit à petit ébat de jeunesse se faisait sans que les protagonistes ne s’en aperçoivent.

On voit bien qu’en chacun de nous un animal fou sommeille malgré les lignes de conduite que nous nous imposons. Ce qui fait de nous des Hommes, c’est notre capacité à revenir à la réalité grâce à un résidu de monde, un détail qui nous avait échappé et qui interpelle notre conscience ; de façon imagée : un " panneau de signalisation " qui dit " stop !!! redescend sur Terre !!! ".

Ce panneau qu’Ulrich à découvert lorsqu’il entrouvrait les yeux pour admirer le corps de son amie réagissant à ses caresses, ce fut le tiroir entrebâillé de sa table de chevet. Tiroir entrebâillé ou fenêtre ouverte sur son passé.
Car le tiroir entrebâillé ou la fenêtre ouverte sur son passé contenait ou donnait sur des photos de son enfance où la solitude et la tristesse ne lui appartenaient pas encore.
Photos de son enfance ou images révélatrices d’une vérité inavouable et de souvenirs inoubliables à oublier.
Vérité inavouable et souvenirs inoubliables à oublier ou peur des conséquences d’un aveu qui pourrait changer le regard que l’on porte sur lui... Lui, le jeune homme d’aujourd’hui construit par l’enfant qu’il fut...
Tiroir entrebâillé ou fenêtre ouverte sur son passé qui rappelait à Ulrich le voile de mystère avec lequel il se cachait aujourd’hui et depuis longtemps : il desserra très vite son étreinte de la jeune femme et arrêta le baiser.
Photos de son enfance ou images révélatrices d’une vérité inavouable et de souvenirs inoubliables qui rappelait à Ulrich qu’il était allongé dans une position qui frôlait l’indescence, sur sa petite amie, sur son lit, dans sa chambre, dans la maison de son enfance, où ses parents se trouvaient également : il se redressa d’un seul coup sans un mot.
Peur d’un aveu pouvant changer le regard que l’on porte sur lui qui rappelait à Ulrich une certaine trahison envers tout ses proches et spécialement en ce moment envers Yumi : il la lâcha complètement, s’assit au bord du lit et lui fit remarquer comme un idiot qu’elle était à deux doigts d’être en droit de lui administrer un coup de genou dans l’entre-jambes et qu’ils devraient se calmer et en rester là.
Sagesse décelée dans les paroles de son petit copain, entendement sur la question partagé ou étonnement mêlé à une profonde déception, Yumi se redressa les joues rouges, acquiesça et se leva pour aller aux toilettes après avoir obtenu leur localisation de la part d’Ulrich, tout aussi gêné, pour retrouver un peu de ses esprits emportés par les vagues et tourbillons de désir qui venaient de la ravager.
Ils avaient abandonné les animaux d’adolescents soumis à l’ivresse du cocktail d’hormones déferlant qu’ils étaient pour redevenir des Hommes conscients pudiques et moralement gênés. Mais Ulrich se voyait en plus désormais comme un tricheur.
Au poker, un tricheur a des atouts, et ceux d’Ulrich, c’étaient ces fameuses photos dans son tiroir entrebâillé. Il les saisit et les enfouit au plus profond de sa commode, sous une grosse pile de vêtements. Rassuré et honteux, il sentit quelques gouttes rouler sur son front. Était-ce une bonne idée ? Tout ses muscles étaient raides à cause d’un stress inexplicable...

Enfin, tout a une explication...




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Tout à coup, il fut alarmé par une légère odeur de fumé qui semblait venir d’en bas. Puis les mots " Maman ", " cuisine " et " dangereux" lui vinrent automatiquement à l’esprit, et il se précipita à l’étage en-dessous. En même temps, Yumi revenait des toilettes pour regagner la chambre. N’y trouvant pas Ulrich, elle se dépêcha de sortir les quelques affaires dont elle aurait besoin après le repas et se hâta à son tour au rez-de-chaussée. Elle se laissait guider par l’odeur de fumé qui devenait de plus en plus prononcée. Cette piste olfactive la mena jusqu’à la cuisine spacieuse et high-tech de la maison. Et quelle surprise pour elle que de voir son petit ami avec un tablier noir de cuisinier en train de gronder sa mère quant à sa " négligence folle et dangereuse de la cuisson des plats ". Jeanne lui expliqua, comme pour ne pas se faire punir tel un enfant de quatre ans, qu’elle avait eu un léger pincement au ventre qui lui avait fait " un peu mal ", et qui l’avait obligée à quitter les plats des yeux pendant environ trente secondes. Le jeune homme compréhensif et inquiet lui recommanda d’aller se reposer, lui assurant qu’il allait prendre le relais et enfin terminer ce repas avant que " tout le monde ne meure de fin ". Celle-ci accepta de bonne grâce, et le remercia en le gratifiant d’un baiser sur le front avant de ce rendre dans le salon. Peu de temps après, Yumi se glissa discrètement dans la cuisine, puis chevaucha un tabouret juste en face du plan de travail où son petit ami se mettait à la tâche.

- A quel moment t’es arrivée, toi ? Fit le jeune homme avec un petit sourire.
- Il y a seulement deux minutes. Alors comme ça... Tu sais cuisiner ?
- Bien sûr ! J’était bien obligé de me débrouiller quand mes parents n’étaient pas à la maison à cause de leur travail... Papa en particulier.
- Mais... Tu étais avec ta mère alors...
- Qui sait tout juste faire cuire un œuf ! Ici, c’est Papa qui cuisine, alors il m’a appris, et du coup c’est moi qui étais aux fourneaux et Maman me surveillait au cas où. J’adore cuisiner !
- Ah bon ? Et bien je crois que j’ai vraiment dégoter la perle rare, alors ! Tu nous fera un " dîner en amoureux " un jour ? L’implora-t-elle presque, les yeux brillants.
- Faut pas me le demander deux fois ! Et ce sera avec plaisir !

Puis le chef cuisto improvisé se mit à la tâche sous le regard stupéfait et admiratif de sa belle, impressionnée par ses gestes habiles, précis et fluides. Il semblait totalement dans son élément, et lui expliquait de temps en temps pourquoi il exécutait tel ou tel manipulation, ou ajoutait tel ou tel condiment. Cet échange plaisait beaucoup à Yumi, car elle se rendait compte que c’était le premier qu’elle avait avec Ulrich en " terrain neutre ", sans le collège, sans leurs amis, sans Lyoko, sans Xana... Elle voyait un jeune homme épanoui et passionné par ce qu’il était en train de faire, et elle aimait le voir dans cet état d’esprit.
A côté dans le salon, Sebastian avait rejoint sa femme sur le canapé depuis quelques minutes déjà. Il avait senti lui aussi l’odeur de brûlé qui émanait de la cuisine. Sa femme le rassura et lui répéta les raisons de son inattention. Seulement, à l’entente de ceci son mari semblait très inquiet.

- Chérie. Je t’ai déjà dit que dans ton état tu ferais mieux de te reposer !
- Je sais mon amour, je sais ! S’exclamait-elle tout en se laissant tomber dans ses bras. Mais je ne suis pas mourante non plus ! Je voulais faire plaisir aux petits en faisant le repas...
- Ça je l’avais bien compris ! L’interrompt-il, mais je t’en supplie ne force pas trop, sois raisonnable !

Jeanne, enfouie dans les bras forts et rassurants de son époux, se sentait en sécurité, à l’abri de tout. C’était la même sensation qu’il y a des années de cela, quand ils s’étaient enlacés pour la première fois.

- Promets-le moi. Ordonna le grand homme brun en plongeant son regard sombre et perçant dans celui de sa femme.

Ce regard, il ne le lui adressait que lorsqu’il se montrait extrêmement sérieux. Elle saisit alors toute l’ampleur de l’inquiétude de Sebastian, et compris qu’il ne plaisantait pas du tout. Il avait le même regard le jour où il lui avait avoué être fou amoureux d’elle.

- ...Merci de toujours prendre soin de moi. Je te promets de faire attention.

Soulagé, il lui pris tendrement le visage et baisa doucement ses lèvres. Sa main caressait son ventre avec une extrême délicatesse. Elle n’eut pas le temps de prolonger cet instant d’intimité, car Yumi et Ulrich arrivaient malheureusement pour eux avec le couvert à placer. Quand la table fut mise, le dîner commença immédiatement. Au cours du repas se succédèrent une délicieuse entrée, un succulent plat de résistance et un gourmand dessert. Tout en appréciant ce merveilleux festin, ils parlaient de l’événement qui restait tout de même la priorité absolue de ce weekend : le mariage de Célia.

- Alors ? Ça va durer combien de temps cette fois-ci ? Un an ? Un mois ? Ironisa le chef de famille.
- Seb ! T’as pas un peu fini avec ça ! Rétorqua sa femme exaspérée par l’attitude de son mari. On dirait vraiment que tu prends plaisir à dire ces choses-là !
- Je pourrais en dire autant de ta sœur quand elle sort à chaque fois qu’on se voit " alors toujours ensemble ? " comme si elle attendait désespérément que tu lui réponde " non, nous sommes en pleine procédure de divorce ! ".
- Tu es complètement parano !

Ulrich intervint après avoir décelé un certain malaise chez sa petite amie :

- C’est bon vous deux, pas besoin de pourrir l’ambiance, vous aurez tout le loisir de le faire demain ! En plus, je suis sûre que Yumi n’est pas très intéressée par tout ça.
- Euh... Ne vous en faites pas pour moi, j’ai l’habitude de ce genre de dispute avec mes parents. Fit-elle non sans une légère teinte rosée aux joues.
- Désolée Yumi, c’et vrai que ce genre de conversation n’est pas très appropriée devant une invitée. S’excusa Sebastian.
- Je vous ai dit que c’était bon. Le rassura-t-elle en esquissant un léger sourire. Ulrich, tu peux me passer le pain s’il te plaît ?
- Oui, bien sûr.

Au contact de leurs mains, ils rougirent légèrement, ce qui n’échappa pas au couple.

- Vous avez l’air de très bien vous entendre tous les deux. Vous êtes très mignons ! Lança joyeusement Jeanne.
- Euh... Merci... beaucoup... Répondit la jeune japonaise en rougissant très fortement.
- Oui, on s’entend très... bien... Ça fait quand deux ans qu’on se connaît. Bafouilla difficilement le jeune homme avec le même teint écarlate que sa compagne.
- Deux ans ?! Et vous ne sortez ensemble que depuis deux mois ! Vous en avez mis du temps ! Lâcha le père en riant.

A ce moment-là, deux choses essentielles apparurent à l’esprit d’Ulrich et de Yumi : Lyoko et " On est copains et puis c’est tout ! ". Deux choses qui pourraient être des réponses à la question posée à demi-mots " pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? ". Bien sûr, saupoudrez cela de leur timidité maladive et maladroite, de la jalousie insupportable d’Ulrich, des doutes de Yumi.... Et là, on pouvait carrément rédiger une thèse sur le sujet !

- On a pris notre temps. Finit par souffler le beau brun.
- Oui, c’est ça. Renchérit sa petite amie en effectuant machinalement un mouvement de tête comme pour soutenir son approbation.
- Et bien bravo. C’est rare de nos jours des jeunes qui savent se tempérer ! (Puis il tourna la tête exclusivement vers son fils.) Tu sais Ulrich, je t’ai toujours dit ces dernières années de te concentrer sur tes études car c’est extrêmement important pour ton avenir etc... Mais Yumi a l’air de vraiment t’aimer beaucoup beaucoup ! (Puis il tourna la tête exclusivement vers Yumi) N’est-ce pas Yumi ?
- Euh oui bien sûr... Beaucoup... Beaucoup... Beaucoup. Ne cessait-elle de répéter morte de honte.
- Tu vois ? Et toi aussi, hein ? Demanda-t-il en toisant son fiston du regard.
- Euh oui bien sûr... Beaucoup... Beaucoup... Beaucoup... Beaucoup... Répondit-il extrêmement gêné.
- Alors écoute-moi bien ! Lui ordonna-t-il d’un ton ferme et presque en criant.
- Oui ! Fit le beau brun apeuré par son ton et son attitude à la fois autoritaire et étrange.
- Il ne faut jamais faire souffrir une femme mon fils ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Et je n’ai pas élevé un goujat, alors tu as intérêt de te tenir à carreau, c’est clair ?
- Comme de l’eau de roche ! Mais je n’avais pas besoin de toi pour ça, et c’est très gênant de dire ça devant Yumi !
- Oh non pas du tout ! Comme ça si jamais tu fais une bêtise je saurais où me plaindre ! Répondit la japonaise à deux doigts du fou rire.
- Et moi je confirme ce que dit ton père, Ulrich. Renchérit la mère à peu près dans le même état que Yumi.
- Et ben c’est ma fête ce soir !

Et la conversation bien que gênante et délicate pour notre couple se prolongea dans les rires et la bonne humeur. Une fois le repas complètement terminé, le débarrassage de la table se fit rapidement et le couple Stern alla s’allonger tranquillement sur le canapé pour regarder la télévision et discuter un peu du mariage de demain, tandis que les jeunes montèrent à l’étage pour prendre leur douche, " chacun dans sa salle de bain respective bien entendu ! " Quand ils eurent fini ce fut au tour des parents d’Ulrich de se désaltérer dans la salle d’eau intégrée dans leur chambre, où Ulrich avait pris une bonne douche brûlante. Après avoir enfilé leur pyjama ils discutèrent de l’endroit où chacun allait dormir.

- Je vais te laisser ma chambre, et moi je dormirai sur le canapé du salon. Ne t’inquiète pas il est très confortable. Lui dit son bienveillant petit ami.
- Tu sais... ça ne me dérange pas si tu dors dans la chambre avec moi... Fit sa petite amie les joues empourprées.
- Tu veux rire ? Avec tout ce que mes parents m’ont dit à table ! Rétorqua-t-il en rigolant et en rougissant énormément en même temps.
- J’aimerais qu’on parle un peu, et ce sera en tout bien tout honneur bien sûr. Chuchota-t-elle en déposant un petit baiser sur ses lèvres.
- Oui bien sûr. Murmura-t-il en répondant à son baiser. Bon... d’accord, je vais chercher un matelas pour dormir parterre.
- Ok.

Elle alla confortablement s’installer dans le lit en l’attendant, et quand elle fut allongée, elle repensa à ce qui s’était passé avant qu’elle n’aille rejoindre Ulrich dans la cuisine, et elle ne put retenir un joli sourire malgré sa gêne. Elle pensa aussi au brusque mouvement de recul qu’Ulrich avait eu pendant leur élan, et se demanda s’il l’avait eu uniquement par question de pudeur. Il arriva quelques secondes plus tard avec un matelas qui avait l’air moelleux et souple, et la literie dont il s’apprêtait à le parer. Après avoir fait son petit lit douillé situé juste à côté de celui de Yumi, il s’y allongea et regarda dans les yeux sa petite amie qui le regardait de haut.

- Alors contente ?
- Très !

Elle se pencha doucement sur son visage pour l’embrasser sur la joue comme pour lui dire "merci ", puis elle l’embrassa sur la bouche comme pour lui dire " je t’aime ".

- Tu es magnifique. Lança-t-il admiratif et sincère.
- Merci !
- Mais si tu es autant magnifique rien qu’en pyjama, alors demain... Ça sera génial !
- T’as pas fini espèce de coquin ! Répondit-elle en lui donna une légère claque. Parlons un peu, plutôt.
- Très bien. De quoi ?
- De toi !
- D’accord... Je suis Ulrich Stern... et je suis fou de toi ! fit-il en riant.
- Non sérieusement ! Rétorqua-t-elle en riant aussi à sa blague.
- Mais c’était sérieux.
- Non, moi je pensais plutôt à cette maison par exemple : tu as toujours habité ici ?
- Non, avant ma naissance, mes parents louaient un petit appart’ en plein centre de Paris. C’est là-bas que j’ai passé les deux premières années de ma vie. Ensuite, on a emménageait ici à cause du manque de place et parce que ma mère ne supportait plus l’ambiance du centre ville.
- Et... Vous étiez quel genre de famille ?
- On était très heureux ! Honnêtement je n’ai pas à me plaindre de mon enfance, mes parents étaient géniaux : ils étaient toujours présents pour moi, ils s’occupaient très bien de moi... malgré leur boulot. On était une très belle famille.

Il avait débitait ses mots avec le regard pétillant de l’enfant qu’il décrivait à sa compagne, et avec une tendresse qui caractérisait bien cette époque. Mais une rupture se fit automatiquement dans l’esprit de la belle japonaise.

- Mais... Ce que tu me décris là c’est... pas du tout représentatif de la relation que vous entretenez aujourd’hui. Du moins de celle d’il y a deux mois... Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Et bien... Je sais pas... J’ai grandi, mes parents ont vieilli : problème de compatibilité peut-être ? J’ai surtout été proche de ma mère quand j’étais petit. Lui répondit-il avec une immense hésitation, et en choisissant très soigneusement chacun de ses mots.
- Pourquoi ta mère ?
- Je sais plus... Le travail de papa peut-être ?...

On toqua à la porte.

- Ulrich ? Je peux entrer ? Fit la voix de son père.
- Oui, vas-y.
- Excusez-moi de vous déranger, mais demain matin nous allons nous lever très tôt, et ce serait vraiment bête que vous aillez des têtes de zombies, même si ce n’est "que" le mariage de ta tante. Alors ne tardez pas trop à vous coucher s’il vous plaît.
- Oui d’accord.
- Bien, bonne nuit. Bonne nuit à toi aussi Yumi !
- Bonne nuit Sebastian !
- Bonne nuit papa.

Puis il ferma la porte en partant.

- Ton père et sa belle-sœur ne s’entendent vraiment pas bien ! Constata Yumi.
- Et bien... Comment dire... Personne dans la famille de ma mère n’a jamais vraiment réussi à accepter papa.
- Ah bon ? Il est pourtant le genre de type à plaire aux belles familles.
- Je n’ai jamais su d’où venaient toutes ses tensions autour de mon père... Et en fait... Je ne connais pas grand chose de lui. Il n’aime pas parler de lui, ni de son passé. Je n’ai jamais entendu parler de mes grands-parents paternels une seule fois dans ma vie, c’est pour te dire !
- Et bien ! Moi qui croyais que tu étais impénétrable. Finalement ton père est plus doué au jeu de cache-cache que toi ! Fit-elle en souriant.
- Je ne joue pas à cache-cache ! J’essaie juste de conserver une grosse part d’intimité.
- Un jardin secret ?
- Non ! Un jardin ça n’a rien de secret, c’est fait pour être vu au contraire !
- Si tu le dis... (elle s’interrompit avec un bâillement) je commence à fatiguer !
- Et ben ça tombe bien : il faut qu’on dorme. Puis il se mit à genou à côté de son lit, la tête au niveau de la sienne. Bonne nuit ma Yumi... Je t’aime. Laissa-t-il planer dans un tendre murmure.
- Bonne nuit, mon Ulrich que j’aime aussi très fort. Répondit-elle souriant et somnolente en même temps.

Puis ils partagèrent un dernier tendre et doux baiser plein d’amour et d’affection, et gagnèrent le monde des rêves en pensant à l’autre.
Pendant ce temps, Sebastian avait regagné sa propre chambre où sa femme l’attendait patiemment dans leur lit. Tout en s’allongeant, il l’embrassa tendrement dans le cou tout en caressant ses cuisses d’une main baladeuse qu’elle maîtrisa tout de suite.

- Qu’est-ce que tu fais ? Demanda-t-elle avec un petit sourire aux lèvres.
- Je fais, c’est tout. Se contenta-t-il de répondre tout en essayant de s’emparer des lèvres de Jeanne qui détourna la tête une fois de plus.
- Pas avec les enfants à côté, chéri. Tenta-t-elle de le raisonner en se libérant totalement de son étreinte.
- Mais ils dorment !
- Où dort Yumi, d’ailleurs ?
- Ils dorment tous les deux dans la chambre d’Ulrich.
- Pardon ? Lâcha-t-elle avec un léger tressautement.
- Ben... Oh ! Je vois où tu veux en venir. Mais ne t’inquiète pas : ils dorment dans des lits séparés, et puis... Je doute fort qu’ils n’aient ce genre d’idées en tête.
- J’en doute aussi, mais tout de même !
- Ecoute, de toute façon je leur ai déjà souhaité bonne nuit et ils se sont probablement endormis. Donc, ne t’inquiète pas, ils ne feront aucune bêtise ! Et... Tu crois que nous on pourrait faire quelques bêtises là tout de suite ? Demanda-t-il l’œil coquin et la main prête à débarrasser son épouse de la fine nuisette qu’elle portait.
- Non, désolée, je suis fatiguée ce soir. Lança-t-elle du tac au tac en se retournant complètement. Bonne nuit Seb !
- Bonne nuit. Grommela-t-il en se retournant à son tour.

Consciente et amusée de sa frustration, sa femme fit face à son dos et l’enlaça doucement par derrière.

- Je t’aime... Même si tu es grognon ! Dit-elle d’une voix aimante.
- Je t’aime aussi, ma femme. Répondit-il attendri.

Ils échangèrent un baiser digne d’un amour qui n’avait jamais perdu de son intensité en dix-sept ans de mariage, puis laissèrent le sommeil les emporter, tendrement enlacés.

A Kadic, tout le monde dormait à point fermé. La bande avait pu profiter d’une journée sans encombre : pas de XANA à l’horizon. Du moins... Pas tout de suite...




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Il y a 14 ans
5 mai

Joyeux anniversaire mon p’tit gars ! Joyeux anniversaiiire ! Joyeux anniversaire mon fils ! Joyeux anniiiversaiiire !!!

Dieu comme le temps passe ! Un an déjà ?! J’ai l’impression que c’était hier que nous revenions de la maternité toi, ta mère et moi. Tu nous as fait vivre une année exceptionnelle mon chéri, et merci pour ça.
Bon... Je ne suis pas en train de te dire de continuer à nous vomir dessus ou de crier jusqu’à 3h du mat’ ! Mais tous tes gazouillements, tes sourires, tes rires, tes premiers pas, tes petites larmes pour exprimer ton énervement ou tes petits chagrins de tout petit bonhomme ont été les plus beaux cadeaux que j’ai reçus dans toute ma vie.

Une larme perle à ma joue : ta Maman l’essuie tout de suite et me dit la gorge nouée par l’émotion mais en riant tout de même.

- Qu’est-ce que ce sera l’année prochaine ?

Je ris à mon tour.

Ta mère est le premier cadeau que la vie m’a offert. Nous tournons la tête pour te regarder : tu étais confortablement installé dans ta chaise haute, les yeux remplis à ras bord de panique. Tout le monde te faisait des risettes et répétait sans cesse " joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! ". Ton visage apeuré et dubitatif laissait paraître les pensées qu’on pourrait avoir dans ce genre de situation : " mais qu’est-ce qui se passe ici ?! Pourquoi tout le monde me regarde ?! Et qu’est-ce qu’ils ont tous à crier, bon sang !!! ". Oui, c’est ce que tu serais en droit de penser ou même de dire si tu pouvais parler. C’est bien vrai après tout : qu’est-ce qu’un enfant d’un an pourrait bien avoir à faire du jour de sa naissance ?! Pourquoi ce gâteau, cette bougie, ces cris de joie ?!! Tout simplement parce que tu existes mon fils. Toi tu n’en as pas conscience, mais ton entrée dans nos vies à tous est un émerveillement pour chacun d’entre nous. Et s’émerveiller est sans doute la plus belle chose que l’Homme sache faire.

Avant que tu n’arrives, je l’avoue : l’idée d’être père me rendait extrêmement inquiet. Ne pas être à la hauteur, te décevoir ou pire : me faire haïr par toi. Comme j’ai haï mon père. Pourtant, tenir ce rôle a toujours était un rêve et une ambition que je voulais atteindre. Dès la seconde où tu es sorti du ventre de ta mère, je t’ai tout de suite aimé plus que tout au monde. Tu es ma chair, mon sang, mon fils ! J’avais intérieurement conclu un pacte avec moi-même semblable aux promesses que ce font les meilleurs amis d’enfance : je me suis juré solennellement de te protéger, te rendre heureux et surtout de te donner tout l’amour que je pouvais puiser au plus profond de mes tripes jusqu’à mon dernier souffle. J’avais juré d’être un père, un vrai. De te donner tout ce que je n’ai pas eu de la part du mien.

Ce pacte, j’en avais parlé à ta Maman. Elle aussi avait eu le temps d’en faire un avant de commencer à pousser pour te faire douloureusement sortir d’elle : elle s’était juré de toujours trouver assez d’amour pour toi et moi. De ne pas en négliger un au détriment de l’autre. Je lui ai répondu que je savais très bien que son amour pour moi ne serait pas entravé par ta naissance.

Mais la vie m’a montré que l’amour d’une femme pour son mari était grand, et que celui d’une mère pour son enfant était infini.

En tout cas fiston, mon amour pour ta mère et toi est éternel, et j’espère que tu n’auras jamais à en douter.




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On revient 14 ans plus tard

Le lendemain matin, tout était calme dans la demeure des Stern. Ulrich s’était réveillé extrêmement tôt. Les souvenirs qui habitent une maison viennent parfois hanter nos nuits. Il profita de son réveil matinal pour observer la belle japonaise encore profondément assoupie. Il ne put résister au bonheur de caresser ses cheveux en se faisant le plus doux possible. Dans l’élan du geste, il prit soin de ranger une mèche traçant un parfait axe de symétrie entre la gauche et la droite de son visage derrière son oreille. Puis avant de quitter la chambre à pas de loup, il baisa discrètement son front.

Il n’était que 6h04, la pénombre du petit matin régnait encore dans la maison. Ulrich décida d’exploiter ce temps qui n’appartenait qu’à lui en contemplant mieux les pièces qu’il n’avait pas vu depuis des mois, voir des années pour certaines. En effet, le changement était notable : en fait, il était surtout intrigué par les travaux entamés dans " la troisième chambre ". Ses pas le dirigèrent vers la porte la plus proche des escaliers, sur sa droite. Elle était condamnée pour cause de travaux, mais un vieux stratagème datant de son enfance resurgit de sa mémoire et lui permit de crocheter la serrure sans aucune difficulté. Il pénétra dans la pièce sombre dont les volets étaient tous fermés. Il appuya sur l’interrupteur qui fit cracher aux ampoules une lumière pâle et désagréable pour ses yeux pas encore tout à fait éveillés. On pouvait constater les tapisseries arrachées, le sol recouvert de bâches - sans doute pour éviter que la peinture qui enduirait les murs ne coule dessus -, et les meubles neufs encore emballés dans leur carton qui attendaient patiemment leur délivrance dans le coin le plus reculé de la salle. Un sentiment de nostalgie qui chagrina le jeune homme au plus haut point le poussa à s’imaginer le lieu dans son état originel. Et bien que cela fasse un peu plus de sept ans qu’il n’avait pas mis un seul pied dans cette chambre, les souvenirs de ce lieu étaient parfaitement bien conservés dans son esprit. Il revoyait la semi-clarté du papier peint bleu-nuit couvert de petits points scintillants apparentés à des étoiles qui tapissait les murs.

En entrant dans cette chambre, on avait l’impression de voyager dans l’espace, de quitter la Terre. Ulrich se rappelait parfaitement de ce sentiment qui faisait qu’il aimait tant rester ici. En plus, cet univers astronomique n’avait pas du tout été laissé au hasard : ici, on se situait plus précisément dans une reproduction de taille réduite de la galaxie d’Andromède ! Il la connaissait par cœur, c’était sa préférée ! La galaxie d’Andromède anciennement appelée "grande nébuleuse d’Andromède" et aussi connue sous les noms M31 et NGC 224, est une galaxie spirale géante très semblable à notre galaxie située dans la direction de la constellation d’Andromède. Si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, Ulrich savait bien qu’on estimait la distance l’éloignant de notre " planète bleue " entre 2,4 et 2,9 millions d’années-lumière. Une bonne trotte pour qui voudrait s’y aventurer !
Ce fut d’ailleurs un de ses rêves de gosse, mais quand son père lui avait converti la distance en mètres d’abord, puis en kilomètres en espérant un chiffre bien plus petit que le premier, il se résigna estimant que c’était " toujours beaucoup beaucoup trop loin ! ". Il sourit en se remémorant cette anecdote et se rendit compte qu’effectivement, seul les rêves d’un enfant pouvaient nous propulser aussi loin que la galaxie d’Andromède, et bien plus encore. Alors, à défaut de pouvoir la visiter, il l’avait étudiée jusque dans les moindres détails : déclinaison, coordonnées galactiques, vitesse radiale, inclinaison, orientation du grand axe, magnitudes apparente et absolue, taille angulaire, masse...... Il se souvenait encore aujourd’hui des chiffres associés à ces données, et de ce que ces dernières représentaient.
En se replongeant dans cet univers particulier, caché dans la mémoire de ce lieu qui fut si magique pour lui, Ulrich redevenait petit à petit l’enfant émerveillé qu’il avait été. Et quand il était petit, son père lui avait fait promettre de garder cette capacité à s’émerveiller des choses les plus impressionnantes, mais surtout des plus simples, car c’est en elles que résident, selon lui, l’origine de l’activation de ses sens et de ses premières émotions d’enfant ; et l’homme qu’il deviendra un jour, devra se faire le devoir de ne jamais les oublier sous peine " d’être amputer du bonheur de la sensation de ne rien avoir su au départ, puis de découvrir petit à petit " : en bref d’avoir baigné dans la douce et innocente ignorance de l’enfance.
Il avait expliqué à son fils qu’un homme blasé qui se sentait " trop important pour s’émouvoir bêtement face au monde dans lequel il vivait " subissait lui-même la bêtise de passer à côté de la vie justement. Il lui avait dit que pour que des événements incroyables se produisent, ceux-ci nécessitaient une rencontre insolite ; et comment provoquer quoi que ce soit en restant enfermé dans son monde d’égoïsme ?!
Il avait fait parvenir aux oreilles de son petit garçon que la plus formidable des aventures qui permettrait un émerveillement sans fin, c’était l’amour, quelles que soient ses formes. Que c’était à double tranchant : que quand on aime, on donne une partie de soi en acceptant que le destinataire ne nous la rende jamais et qu’il pouvait en faire ce qu’il voulait. Que quand ce n’était pas réciproque, on devait accepter de souffrir. Que quand ça l’était, on devait accepter de subir la dépendance de l’autre sans condition et sans se poser la moindre question. Que c’est seulement quand on aura atteint ce niveau de dépendance absolu qu’on aura le droit de dire qu’on a vécu un amour magnifique.
L’enfant avait alors demandé à son père ce qu’il se produisait quand on avait plus " de petits bouts de soi à donner ". Le regard du père s’était alors voilé d’une grande tendresse teinté d’un certain amusement à l’entente de cette question. Il avait répondu : " - Ulrich. Ta question est parfaitement justifiée. Mais sache que ce que tu me décris n’arrivera jamais à un être qui sait aimer, car un tel individu est doté d’une qualité extraordinaire : la générosité. Et cette générosité renouvellera toujours les " petits bouts de toi " que tu auras distribués aux personnes que tu aimeras, te permettant ainsi d’en éparpiller encore dans d’autres cœurs. - Et quand on ne sait pas aimer ? - Alors on ne vit plus. On devient nous-mêmes " un petit bout de rien du tout " perdu dans le vaste monde, sans valeur et sans sentiment. Et tache de te souvenir de ce que je suis en train de te raconter mon fils, car les sentiments sont le moteur de nos existences ! ".
Depuis cette conversation, le petit avait vécu selon le dogme de partage d’amour que son père lui avait transmis. L’amour avait été un sentiment éminemment répandu dans toute son enfance. Chaque étreinte avec un membre de sa famille ou un de ses amis, chaque pièce, chaque mur, chaque mot, chaque sourire en débordaient. Il avait eu cette chance, et il le savait. D’ailleurs, cet amour il le ressentait énormément dans cette pièce, il se rappelle y avoir vécu des moments de complicité incroyables qu’il n’oublierait jamais, et l’homme qu’il deviendrait non plus.
Les yeux qu’il était en train d’empruntait quelques instants au petit garçon qu’il était redevenu croyaient deviner le télescope qui trônait fidèlement en face de l’unique fenêtre de la chambre. Il se rappelait avoir observé des choses merveilleuses à cet endroit...

Soudain, une présence lui revint à l’esprit. La présence... Ça faisait mal de ressentir tout ça finalement. L’émerveillement face aux souvenirs avait aussi sa part de douleur.

Là, celle-ci se faisait trop grande pour le beau brun. Se sentant pris d’un vertige, il quitta la pièce sur-le-champ sans oublier de bidouiller la serrure pour la remettre à son état d’origine. Voilà maintenant qu’il sentait la nausée le gagner, il décida alors d’aller se désaltérer avec un verre d’eau bien frais dans la cuisine... Ça allait un peu mieux, mais pas encore assez. La force des souvenirs enfouis était vraiment titanesque. Il inspira et expira du mieux qu’il pouvait pour calmer cette crise d’angoisse qui l’avait soudainement attrapé par le col pour le secouer violemment ensuite. Plus ses poumons se remplissaient d’air, plus il reprenait des couleurs... Ça y est il allait mieux, la crise semblait s’estomper.
L’horloge de la cuisine affichait 7h10 : son père ne tarderait pas à se réveiller, il alla donc enfiler une tenu un peu plus habillée pour sortir acheter de quoi petit-déjeuner afin de trouver un prétexte valable pour sortir prendre le bol d’air qui l’aiderait définitivement à pouvoir avaler celui de céréales.
Une fois redescendu, il aperçut effectivement son père dans le salon frottant ses yeux encore tout endormis. Ils se dirent bonjour, et en effet, ce dernier lui tendit un billet de 20 €, afin qu’il puisse aller prendre deux baguettes de pain et quelques viennoiseries à la boulangerie du coin.

- N’oublie pas de prendre des pains aux raisins pour ta mère : tu sais qu’elle en raffole. Et prends aussi quelque chose pour ta Yumi. Ajouta-t-il en souriant d’un air complice.

Mais le beau brun, encore préoccupé par ses pensées, ne releva pas ses derniers mots.



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Le jour entrait dans la chambre d’Ulrich. Yumi se blottit dans la couverture qu’il avait remontée sur ses épaules. De sa main elle le chercha à tâtons sur le sol. Elle s’étira et ouvrit les yeux. La place qu’occupait Ulrich était vide. Elle se redressa brusquement. Son corps fut surpris par la rudesse du froid matinal. Elle frissonna. Après avoir quitté son lit, elle se dirigea vers la commode du beau brun pour y trouver un pull pouvant lui apporter un peu de chaleur. Cette fois-ci, elle ne fit pas attention aux photos dissimulées sous la pile de linges en sortant de la pièce. En longeant le corridor, elle passa devant la " troisième chambre " dont les récents travaux de rénovation semblaient avoir grandement étonné son petit ami. Néanmoins, son esprit encore engourdi par le sommeil ne s’attarda pas sur la question. Elle descendit les escaliers qui la menèrent au salon où Sebastian s’afférait à la préparation de la table.

- Bonjour ! Lança-t-elle joyeusement.
- Bonjour Yumi ! Bien dormi ?
- Très bien, et vous ?
- Egalement... Même si ma femme a encore pris toute la couette ! C’est ce qui m’a réveillé !
- Désolée pour vous ! Répondit-elle en riant doucement. Euh... Vous savez où est Ulrich ?
- Il s’est réveillé très tôt ce matin. Je l’ai envoyé faire quelques courses.
- Ah d’accord. Fit-elle légèrement déçue de ne pas avoir pu se réveiller avec lui à ses côtés. Vous voulez que je vous aide ?
- Non, ne te dérange pas. J’ai presque fini de toute façon.
- Ok. Euh... A quelle heure débute la cérémonie ?
- A 10 h 30 selon le faire part. Mais on nous a téléphoné hier après-midi pour nous dire qu’il y aura un peu de retard : donc, ça se fera sûrement entre 10 h 30 et 11 h. On a largement le temps de se préparer ne t’en fait pas.
- Très bien... Je peux vous poser une question indiscrète ?
- Tant que ce n’est pas trop indiscret. Accepta-t-il gaiement.
- En fait... Je voulais vous demander pourquoi la famille de votre femme ne vous appréciait pas trop.
- Comme l’a si bien dit ton père, Takeo, hier soir : les situations sont tendues avec toutes les belles-familles ! Ironisa-t-il.
- Non, ce que je veux dire c’est que ça a l’air plus... Profond que la simple petite discorde. Rien qu’à vous entendre parler de votre belle-sœur... On dirait que c’est d’ordre bien plus personnel que ça.

Le silence fit écho à la perspicacité de son raisonnement. Sebastian en était tellement dérouté qu’il ne savait quoi répondre.

- Excusez-moi, ma question vous gêne peut-être ?
- Non ! Non, je trouvais juste que... Tu étais très fine psychologue. Dit-il avec un petit sourire qui trahissait sa nervosité. Et bien... Pour faire simple : la famille de Jeanne est une famille extrêmement soudée. Elle est très complice avec sa mère et sa sœur, et son père est complètement... Dingue de ses deux filles. Comme je l’aurais été à sa place, d’ailleurs... Donc, j’écope du mauvais rôle de celui qui fout ce charmant tableau de famille en l’air !
- Je comprends... Ce ne doit pas être facile.
- Et bien... Disons qu’au début c’était compréhensible... Mais au bout de dix-sept ans de mariage tout de même !
- Vous avez l’air très amoureux de votre femme. Laissa-t-elle échapper empreinte d’un soupçon de romantisme.
- Et encore c’est un euphémisme ! Mais je vais t’épargner mes banalités amoureuses.

La jeune fille acquiesça d’un petit rire complice.

- Et Ulrich ? Quel genre d’enfant était-il quand il était petit ?
- Un petit garçon formidable. Il prenait toujours soin des autres avant de penser à lui-même... Il était généreux, toujours plein d’énergie, ouvert, curieux. Parfois autoritaire envers nous ! Il était vraiment le chef de famille numéro deux ! C’est vrai que... Qu’il était très mature pour son âge, incroyablement même. Mais... J’avais peur qu’il grandisse trop vite ! Je suis heureux de voir qu’aujourd’hui il a conservé toutes ses qualités.
- Je vous le confirme Sebastian, il les a toujours ces qualités dont vous parlez.

Les lèvres de Sebastian Stern s’étirèrent en un sourire radieux plein de fierté

- Tiens ? Ulrich est de retour les bras chargés. Ça ne t’embêterais pas d’aller voir s’il a besoin d’un coup de main ? Dit-il après avoir aperçu son fils longer la rue par la fenêtre.
- Non pas du tout. J’y vais ! Répondit-elle presque excitée en se précipitant à la porte d’entrée.

Sebastian sourit en voyant son engouement. Il se retourna vers la table qu’il venait de finir de dresser. Satisfait, il se frotta les mains en sortant un " et voilà ", comme pour conclure son " chef d’œuvre ". C’est alors qu’il sentit deux bras l’enlacer doucement par la taille.

- J’ai encore pris toute la couette, pas vrai ? Demanda sa femme d’une toute petite voix gênée.
- Mais non ! J’étais déjà réveillé, chérie !
- Tu fronces les sourcils : tu mens !
- Comment peux-tu savoir que mes sourcils sont froncés : je suis de dos !
- Comme si j’avais besoin de te voir de face pour savoir la tête que tu fais.
- D’accord j’ai menti : tu as pris toute la couette. Mais ce n’est pas grave... Dit-il affectueusement en se retournant et en serrant son épouse par la taille.

Jeanne se mit sur la pointe des pieds pour que sa tête se retrouve au même niveau que celle de son mari. Ils se dévisagèrent et se sourirent amoureusement avant de s’embrasser passionnément.

Devant la maison, Yumi se préparait à accueillir Ulrich avec beaucoup d’enthousiasme. Lui arrivait avec trois sachets remplis de viennoiseries à peine sorties du four au moment de l’achat. La boulangère qu’il ne connaissait que trop bien, Mme Bizot, lui en avait offert une grande partie en souvenir du temps où, à la sortie de l’école, il passait par sa boutique avec son fils Antoine pour goûter aux délicieux gâteaux préparés par ses bons soins avant leur arrivée. Il avait apprécié son geste plus que généreux, et aussi tenté de lui expliquer que leur appétit ne serait jamais assez grand pour engloutir une telle quantité de nourriture. Mais elle avait persisté en scandant énergiquement " quand on aime on ne compte pas les croissants avalés mon petit Ulrich ! et puis c’est fou ce que tu as maigri ! ". Devant tant d’instance, il avait rendu les armes et accepté de bonne grâce son généreux don. Avant de quitter la boulangerie, elle lui rappela encore à quel point il était devenu " un très beau jeune homme, et que le revoir en forme après tant d’années lui avait procuré un immense plaisir ". Il lui avait répondu que revenir dans cet endroit où il avait vécu et goûté à de bons moments lui réchauffait le cœur et qu’il embrassait bien fort toute la famille Bizot. Ses pas le dirigeaient vers sa maison, et ce fut le " bonjour " dynamique et joyeux de sa petite amie qui sortit son nez du magnifique fondant au chocolat issu d’un souvenir de son enfance.

- Waouh ! Y’a de quoi nourrir tout un régiment là-dedans !
- La boulangère me connait bien !
- Ah d’accord ! Besoin d’un coup de main ?
- Non, ne te dérange pas.
- Très bien... Dans ce cas... "

A ces mots, elle lui plaqua brusquement le dos contre la porte en le saisissant par la veste de survêt’ qu’il avait enfilé et planta son regard dans le sien. Ulrich fut très surpris par son geste mais se laissa tout de même faire.

- Tu m’as manqué ce matin beau brun...
- Ah bon ? Demanda-t-il avec un sourire narquois.
- Tu aimes te faire désirer, hein ? Murmura-t-elle sensuellement au creux de son cou.
- Peut-être bien...

Puis la jolie brune l’empoigna par une masse de cheveux et précipita son visage sur le sien. Le baiser fut si ardent, puissant et passionné qu’Ulrich lâcha instantanément ses paquets au sol, totalement pétrifié de stupéfaction et de plaisir. Yumi, forte de son effet, intensifia encore son élan en approfondissant le baiser et en enroulant le cou de son ami avec ses bras. Le beau brun finit enfin par reprendre le dessus sur ses émotions, et entoura ses hanches. Leurs lèvres étaient inséparables et leurs mains leur prodiguaient mutuellement des attouchements suaves et presque sauvages à la fois. Engouffré dans son plaisir, Ulrich laissa maladroitement glisser une de ses mains sur une fesse de Yumi. Elle frémit à ce contact : la main du jeune homme retourna sur ses hanches aussitôt. Elle stoppa très progressivement le baiser de façon à ce qu’ils retrouvent tous les deux leur souffle.

- C’était pour quoi ça ? Demanda Ulrich haletant.
- Pour dire bonjour ! Répondit-elle en lui souriant tendrement mais à court d’air.
- Et ben ! J’aimerais que tu me dises " bonjour " comme ça tous les matins !
- N’y compte pas trop beau brun !

Ils firent leurs lèvres se toucher une dernière fois avant d’entrer dans la maison où les parents d’Ulrich se remettaient eux aussi d’un échange amoureux très inspiré.
Tout le monde s’attabla pour déguster les merveilleuses viennoiseries rapportées par Ulrich. Jeanne fit remarquer à ce dernier que Mme Bizot l’avait " plus que gâté ". Il acquiesça de la tête en enfournant un pain au chocolat dans sa bouche, et Sebastian prit la parole.

- Bon. On doit être à l’église St Maxime à 10 h 30. Dit-il en relisant le faire part.
- Et le trajet en voiture durera combien de temps ? Demanda sa femme.
- Une heure à peu près. En prenant en compte les éventuels embouteillages. Il faudrait donc qu’on décolle d’ici vers 9 h.
- Il est 7 h 30. Signala Ulrich.
- Alors avalons vite notre petit-déjeuner. Conclut sa mère.



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Une fois les cafés, les chocolats chauds, les jus d’oranges, les croissants, les tartines et autres mets ingurgités, tout le monde alla se préparer. Yumi était déjà dans la salle de bain, et Jeanne faisait couler l’eau brûlante le long de son corps dans sa salle d’eau. Ulrich et son père étaient en train de sortir leur smoking respectif. Celui de Sebastian était couleur chocolat avec une chemise bleue grisâtre en dessous. Sa femme lui avait offert une cravate assortie pour l’occasion. Une cravate de marque dont l’écrin consistait en une boîte d’un cuir vert émeraude. Quand il l’ouvrit, un sourire se dessina sur son visage en signe de contentement. Jeanne connaissait bien ses goûts. Elle savait qu’il adorerait les rayures pourpres légèrement obliques qui ornaient le gris de l’accessoire. Jeanne le connaissait par cœur. C’était réciproque. Il avait aussi profitait de ce mariage qui selon lui était « voué à l’échec » pour lui offrir une magnifique robe longue noire légèrement moulante. Il avait eu un fantasme coquin en l’apercevant dans la vitrine d’un grand magasin alors qu’il flânait dans la rue après une dure journée de boulot. Cette journée avait été très sombre, mais imaginer sa femme dans cet habit fut son rayon de soleil. D’ailleurs, elle l’avait toujours aimé pour ce genre de petites attentions qu’il lui portait. Pour la séduire, il avait été près à faire l’impossible : elle avait cédé devant la passion et le charme qu’il dégageait. Mais elle avait eu peur qu’au fil du temps, une routine s’installe et balaie totalement tout ce romantisme. Pour la garder, il n’avait jamais mit de frein à sa passion et à la franchise de ses sentiments. Il lui montrait tout le temps qu’il l’aimait comme au premier jour même après vingt-deux ans de vie commune.

- Papa ?

Il fut sortit de ses pensées à l’entente de la voix de son fils.

- Qu’est-ce qu’il y a mon p’tit gars ?
- Ça faisait longtemps que tu ne m’avais pas appelé comme ça, dit-il avec un petit sourire. En fait, j’hésite pour la chemise…
- Le bleu ne te convient pas ?
- Je ne sais pas… Pourtant la première fois que je l’ai mise ça allait, mais… Je ne sais pas.
- J’avais dit à ta mère que ça ferait trop le côté joli p’tit ange, comme quand tu étais petit ! S’exclama-t-il en fouillant dans son armoire. Tiens, voilà ce que j’avais acheté pour toi.

Il lui tendit une magnifique chemise bordeaux à fines rayures noires. Son taux de séduction était sûr de grimpait de cent pour cent avec ce nouveau vêtement. Il était conquis par ce que son père lui montrait. Son regard émerveillé tira un large sourire à ce dernier.

- Alors ?
- Parfait !
- Je savais que ça te plairais plus. Les couleurs sombres nous vont mieux à tous les deux !

Ulrich le remercia, puis fila dans sa chambre pour étaler son costume sur son lit. Quelques temps après, Jeanne sortit de la salle d’eau seins nus, parée d’une serviette à la taille et d’une autre aux cheveux.

- Je t’ai entendu ! « Côté joli p’tit ange », « les couleurs sombres nous vont mieux ! », et blablabla… Je n’ai pas de goût c’est ça ?!
- Mais non chérie, voyons !
- De toute façon tu as raison, ta chemise lui ira mieux.
- Alors pourquoi tu t’énerves ?
- A ton avis ?! Insinua-t-elle en frottant frénétiquement ses cheveux pour les sécher. D’ailleurs je pense que la robe que tu m’as achetée sera trop serrée pour moi. Désolée !
- Tu as des circonstances atténuantes. Fit-il avec un sourire rempli d’amour.
- Tu sais que j’aime ça quand tu utilise ton vocabulaire juridique… Chuchota-t-elle sensuellement avant de l’embrasser langoureusement.

Mais l’élan ne dura que cinq secondes.

- Hé ! On n’a pas fini ! S’indigna son mari.
- Si on ne veut pas se faire remarquer en arrivant en retard au mariage, il vaut mieux pour nous que ce soit fini !
- T’est pas possible ! Dit-il bougon en entrant dans la salle d’eau.
- Je t’aime aussi chéri ! Répondit-elle en commençant à se coiffer.

Pendant ce temps, Yumi revenait de la salle de bain d’un pas pressé, simplement enroulée dans une serviette. Quand elle pénétra dans la chambre du beau brun, elle aperçut ce dernier dos à la porte. Il se retourna lentement.

- Ça y est, t’as fin… il fit à nouveau face au lit. Désolé, je p-pensais que tu étais habillée. Bégaya-t-il.
- Ben non justement, j’étais te-tellement p-pressée que j’ai oublié m-mes affaires. Reste tourné t’as compris ?! Bégaya-t-elle également.
- Oui ! J’y vais. Dit-il en s’emparant délicatement de son costume.
- Mets une main devant tes yeux !
- D’accord ! Dit-il en s’exécutant.

Il finit par sortir juste après s’être cogné contre son bureau, ce qui lui avait tiré un juron de la bouche. Une fois seule, Yumi se détendit, mais ses joues avaient gardé une légère teinte rosée. Elle se sécha rapidement le corps puis les cheveux. Elle enfila une parure de sous-vêtements en dentelle bleu nuit, s’accroupit devant son sac et en sortit sa tenue pour le mariage. En se relevant, elle admira encore une fois la splendide robe d’un violet foncé que lui avait confiée sa mère. Elle la passa vite tout en y faisant extrêmement attention. Une fois le merveilleux vêtement enfilé, elle essaya tant bien que mal de se contempler : la fente côté gauche laissait apparaître le galbe de sa cuisse, et le léger décolleté permettait d’entrevoir sa poitrine mais sans atteindre la vulgarité. On pouvait voir ses jolis bras fins et sur son épaule droite trônait une rose noire en satin en guise de décoration. En bref, cette tenue était simple, chic, très attrayante, et ne connotait en aucun cas la débauche. Yumi espérait secrètement qu’Ulrich la dévore du regard pendant toute la journée. Elle savait même que c’est ce qu’il ferait, d’ailleurs ! Elle trouva cette pensée délicieuse et savait qu’elle non plus elle ne le quittera pas du regard vêtu de son « costume de pingouin ». Elle alla dans le couloir pour profiter du miroir qui y était suspendu. Sa mère lui avait conseillé de mettre un peu de maquillage « pour une fois ! ». Elle appliqua donc un coup de crayon noir mal assuré sur ses yeux et une très fine couche de rouge à la lèvre sur sa bouche. Yumi scruta les moindres détails de son visage dans la glace. Elle se reconnut, et se surprit même à apprécier un petit peu cet ajout de maquillage simple et discret mais néanmoins embellissant. Là c’était sûr : Ulrich allait l’embêtait pendant un bon moment ! Non pas que ça la dérange bien sûr…
Contente, elle retourna dans la chambre pour enfiler les escarpins assortis à sa robe que sa mère lui avait encore une fois conseillés. Mais la jeune fille grimaça à la vue de ses « bourreaux pour pieds démoniaques ! ». Au début, son équilibre était précaire, et ses pieds étaient trop à l’étroit. Elle fit quelques pas dans la pièce s’appropriant petit à petit l’équilibre qui lui faisait défaut et un léger confort pour ses pieds. Avant de quitter la chambre, elle attacha ses cheveux en un chignon laissant dépasser une mèche de chaque côté de son visage, pris un petit sac à main violet pour y mettre quelques petites choses. Une fois habituée, elle se rendit dans le salon à l’étage inférieur. Jeanne suivait les informations matinales à la télévision assise sur le canapé.

- Jeanne vous êtes radieuse !
- Je te remercie Yumi, c’est très gentil.

La mère d’Ulrich avait opté pour une robe bleue marine unie qui mettant son corps en valeur. Ses cheveux étaient lâchés et des boucles ondulaient au bout ; c’était la première fois que Yumi les voyait ainsi : cet effet faisait d’elle une autre femme. Toujours aussi belle et même bien plus encore, mais la douceur de son visage n’en était que plus grande.

- Tu es très belle ! Cette robe te va bien !
- Vous… trouvez ? Fit la jeune fille les joues rouges.
- Sans aucun doute ! Mais… On voit bien que tu n’as pas l’habitude de porter ce genre de tenue.
- Je suis assez mal alaise en effet.
- Et bien tu ne devrais pas. Ça te va très bien, la rassura-t-elle.
- Je peux vous poser une question… à propos de votre mari ?
- Bien sûr. Dit-elle avec une légère hésitation.
- En fait ce n’est pas exactement à propos de lui, mais plutôt… Des conflits qu’il y a entre lui et votre sœur, Célia.
- Ah ! Tu parles de cette guéguerre qu’ils mènent depuis des années ?! Répondit-elle en rigolant un peu. Et bien… Je dois avouer que ça me peine un peu que deux personnes que j’aime profondément ne s’entendent pas bien.
- Vous êtes très proche de votre sœur ?
- Oui, nos rapports étaient très fusionnels, nous n’avons qu’un an d’écart. Depuis mon mariage avec Sebastian et la naissance d’Ulrich nous ne nous voyons pas aussi souvent qu’avant, mais c’est la vie. En ce qui concerne Sebastian et Célia… Disons que… Ma grande sœur est très possessive ! Déjà plus jeune, elle voyait d’un très mauvais œil le fait que j’ai un petit-copain… Non pas que j’en ai eu des tonnes non plus !
- Rassurez-vous, je ne pensais pas du tout cela de vous !
- Enfin bref, ce pauvre Seb n’est qu’une autre victime de ses a priori stupides. Même sa plus grande victime alors que paradoxalement c’était avec lui que je me sentais le mieux.
- Et votre père ? Comment a-t-il réagi ?
- Comme tous les pères : excessif, pessimiste, ultra-protecteur, sévère… Quelque part, je suis contente que mon père ait réagi ainsi car je sais qu’il l’a fait pour me protéger. Mais… Il était bien trop excessif, pessimiste, ultra-protecteur, sévère, etc.…. Heureusement, ma mère a toujours beaucoup apprécié Seb !
- En gros… Votre mari en a bavé si vous me passez l’expression.
- C’est le moins que l’on puisse dire ! Mais comparé à ce que je viens de te raconter, les rapports entre Sebastian et ma famille d’aujourd’hui sont plus que bons ! Après tant d’années ça ne pouvait que s’améliorer… Mais nous ferions mieux d’en rester là dans cette conversation, sinon on va tomber dans le mélodrame ! Conclut-elle avec un petit rire nerveux.
- Oui, excusez-moi.
- Pas de soucis.

Ulrich et Sebastian descendaient les escaliers qui menaient au salon. Quand ils aperçurent Yumi et Jeanne, leur réaction ne se fit pas attendre.

- Et bien ! Vous feriez mieux de ne pas aller à ce mariage ! Vous êtes mille fois plus belles que la mariée ! S’exclama Sebastian admiratif et blagueur.
- Seb ! Tu vas arrêter ton cirque un peu ! Rétorqua sa femme.
- Ça va ! Si on ne peut plus plaisanter maintenant ! Mais en tout cas je pense ce que j’ai dit : vous êtes très jolies toutes les deux !
- Merci chéri.
- Mer… ci, Sebastian. Bégaya la jeune japonaise très flattée et gênée à la fois.
- Mais de rien ! Bon Jeanne allons-y ! Plus vite on y sera, plus vite ce sera fini !
- T’es vraiment chiant ! Tu ne peux pas être celui qui va avoir l’intelligence d’arrêter ce stupide conflit ?
- Tu peux en dire autant à Célia ! Sur le faire-part il y a écrit : « Jeanne et Ulrich sont conviés au mariage de Célia et… Bidule… »
- Le prénom de son futur mari est Stephan !
- Bref. Le fait est qu’elle n’a pas mis mon prénom ! Et ne me dis pas que c’est un oubli !
- D’accord ce n’est pas un oubli mais vous êtes chiants tous les deux !

Sur cette exclamation, le couple se rendit à la voiture tout en continuant leur dispute et en laissant Yumi et Ulrich plantés l’un devant l’autre dans le salon. La jeune femme avait la tête légèrement baissée et les joues rouges tandis que le beau brun avait les yeux rivés sur elle. Le coup de crayon noir agrandissait son regard qu’il trouvé déjà si beau, la fine couche écarlate qui habillait ses lèvres semblait le provoquer pour une invitation à un baiser, son subtil décolleté lui laissait découvrir sa poitrine naissante qu’il rêvait en secret de pouvoir frôler de ses doigts et la robe dans son ensemble affinait son corps déjà si gracieux. Il n’osait pas ouvrir la bouche pour lui dire qu’elle était belle, magnifique ou époustouflante, car lui-même ne trouvait aucun de ces adjectifs assez fort pour qualifier sa magnificence.

- Ulrich ! Ne reste pas planté là et dit quelque chose s’il te plaît !... C’est vraiment gênant. Fit la japonaise en fixant toujours ses pieds.
- « Gênant » ? Comment peux-tu être gênée, tu es… Tu es… Les mots me manquent pour te dire à quel point tu es… belle, magnifique, splendide… Oh ! Tu vois ?! Tu me fais tellement d’effet que j’ai honte de débiter ces banalités !
- Je… Te « fais de l’effet » ? Répéta-t-elle en levant les yeux vers lui toujours rouge.
- Bien sûr ! Je… Je me suis un peu emporté, hein ? Demanda-t-il très embarrassé.
- Ta réaction est… Le plus beau compliment que tu pouvais me faire.

La douceur de sa voix amplifiait la beauté de sa personne. A la manière d’un mouvement continu de marteau-piqueur, le cœur du jeune homme tambourinait violemment. Si l’on pouvait mourir d’amour et de stupéfaction, Ulrich serait mort trois fois par la faute de sa petite amie. Homicide involontaire… Peut-être ? La première fois, un intense et profond regard avait transpercé son âme de part et d’autre. La seconde, les pas qu’elle avait entamés dans sa direction l’ont presque mené à l’arrêt cardiaque. L’ultime crime de la japonaise fut le murmure qu’elle lui avait sensuellement glissé au creux de l’oreille.

- Toi aussi tu me fais de l’effet…

La suite logique de ce délicieux moment fut le rapprochement progressif et pressé à la fois de leurs lèvres. Seulement, avant que n’arrive le baiser exquis que leur promettait cette intime situation, le klaxon de la belle voiture blanche de Sebastian Stern parvint à leurs oreilles.

- Plus tard ? Demanda-t-il.
- Plus tard… Confirma-t-elle.

Sur ces mots, ils se hâtèrent tous les deux vers le véhicule dont le moteur vrombissait déjà.

- C’est parti ! S’exclama Sebastian d’un ton faussement énergique.
- Allez chéri, arrête de faire cette tête ! Une journée ça passe vite !
- Ça dépend de ce qu’on en fait !... Ah ! Tiens, Yumi ? Tu as remarqué le magnifique arbre qu’il y a dans notre jardin ?
- Oui Sebastian… Et alors ?
- Hé bien devine qui en ait tombé parce qu’il se prenait pour un fruit mûr ?
- Papa ! S’exclama le concerné.
- Ulrich ?! Mais… Je croyais que tu avais le vertige ?!
- Lui ? Le vertige ? Tu parles, il aimait bien crapahuter de partout !... Bon allez on y va ! Conclut le père de famille.

Devant la mine un peu étonnée de Yumi, Ulrich tourna lentement la tête vers la fenêtre qui se trouvait de son côté pour contempler silencieusement le paysage. Elle fit de même de son côté sans ajouter un mot, et il en fut ainsi durant tout le trajet.



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Il y a treize ans
Dans un parc d’attraction

Enfin libres !

Cela fait des mois que nous travaillons comme des forcenés ma très chère femme et moi, il était temps qu’on prenne quelques vacances ! On a fini par s’octroyer deux bonnes semaines de congé du coup. On va pouvoir profiter de notre p’tit gars !

D’ailleurs, ce dernier semble apprécier la sortie. Sa petite main dans celle de sa mère, il se déplace en sautillant gaiement et ses éclats de rire se mêlent à ceux des autres enfants. Ils sont purs et merveilleux tout comme lui. Le rire de mon fils : la plus belle des musiques pour mes oreilles de père ! C’est la première fois de ma vie que je mets les pieds dans un parc d’attraction. En effet, ma paternité m’a fait découvrir un monde dont j’étais totalement étranger. Un monde rempli de bonheur et de tendresse où parents et enfants échangent et partagent ensemble… S’aiment d’un amour inconditionnel. La pensée qu’il m’avait fallu devenir père à mon tour pour jouir de tout cela me laisse un goût amer, une marque à l’âme qui ne s’efface pas… Enfin, mieux vaut tard que jamais !

Aïe !

Ma douce moitié est visiblement d’humeur taquine aujourd’hui. Elle a dû remarquer que j’étais ailleurs pendant les trente secondes qui venaient de s’écouler et en a profiter pour me pincer le nez. Fière de sa plaisanterie, elle arbore le sourire espiègle et coquin d’une gamine de sept ans, ce que je trouve irrésistiblement mignon ! Mais avec ses belles formes de femme, je la trouve aussi irrésistiblement sexy ! Ce que je ne peux pas m’empêcher de lui susurrer dans l’ombre du creux de son cou. Je l’ai vu frissonner doucement et son sourire s’est élargi ; néanmoins, elle me lance aussi son regard qui disait « non ! Pas maintenant idiot ! ». Ce regard je le connais très bien : elle me l’a lancé des milliards de fois quand nous étions à la fac ! Dans l’intension de rediriger mes pensées (peu catholiques), elle propose un tour de grande roue à notre petit bonhomme. D’abord réticent à la vue de la hauteur de l’engin, il refuse en secouant énergiquement la tête de gauche à droite. Sa mère se baisse de façon à être à sa taille, et lui dit que de là-haut il verra des choses magnifiques : des adultes qui lui paraîtrons être des fourmis ; le grand-huit, un mille-pattes minuscules ; lui-même, un géant ! L’enfant semblait séduit et impressionné par son récit, mais cela ne le faisait pas se sentir plus en sécurité qu’avant.

- J’ai peur de tomber de tout là-haut. Avait-il murmuré timidement.

Sa Maman lui jure que cela ne se produira pas et qu’elle veillera sur lui de la montée à la descente. Je lui ai même promis que quand bien même il tomberait de « tout là-haut », je le rattraperais aussi vite que l’éclair. Après une légère hésitation, il accepte très rapidement et fonce vers les cabines en tirant sa Maman par la main. Après ce super « voyage » le peu de vocabulaire qu’il savait employer du haut de ses deux ans et quelques mois lui avait permis de nous décrire son incroyable épopée pendant de très longues minutes, et comme retombée en enfance, sa mère se joignait à lui pour me narrer leur fabuleuse aventure.
Je me demande si notre petit bonhomme retiendra cet instant si magique qu’il avait vécu quand il sera plus grand.

Moi je n’oublierai jamais le sourire magnifique qui illuminait son visage.




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Treize ans plus tard
Dans la voiture de Sebastian Stern


Le silence régnait à l’arrière. A l’avant, Jeanne discutait tranquillement avec son mari en jouant à une sorte de jeu de question-réponse pour le moins amusant. Le but était de remettre en mémoire à Sebastian les informations les plus importantes qu’il devait absolument retenir sur le futur époux de sa sœur, Célia. En effet, le fameux Stephan n’avait pas vraiment pris la peine de mieux faire connaissance avec lui, sa femme ou son fils d’ailleurs. Il l’avait croisé tout à fait par hasard dans un centre-commercial. Les deux hommes s’étaient ensuite rendus dans un café pour bavarder un peu de tout et de rien. Sebastian avait donc eu l’occasion de constater que Stephan était imbu de lui-même, narcissique, hautain, pas très drôle, mais... Follement amoureux de sa « chère Célia ». Après avoir fait le rapport de cette rencontre fortuite à sa femme, il avait ajouté que Stephan et Célia étaient partis pour bien s’entendre au début pour mieux « se bouffer le nez » à la fin !

- Prénom ?
- Stephan.
- Nom ?
- Moreau.
- Profession ?
- Euh… Acheteur dans la grande distribution.
- Nombre de frères et sœurs plus noms et âges ?
- Question piège ! Il est fils unique !
- Non, il n’est pas fils unique ! Alexandre, 33 ans et Maryline, 30 ans !
- Ah bon ?
- Et oui ! Passe-temps favoris ?
- Des trucs de bourges du style golf et balade sur son zodiaque !
- Parfait si on enlève le « trucs de bourges » ! Façon dont il a rencontré Célia ?
- Leurs regards se sont croisés au-dessus d’une machine à café alors qu’ils ont eu en commun la charge d’un dossier concernant la vente de je ne sais plus quoi.
- N’en fais pas trop !
- C’est comme ça qu’il m’a raconté ça !
- Ses parents ?
- Arthur et Louise : retraités.
- Bon je crois que tu es au point.
- C’était drôle ton p’tit jeu ! Et… Qu’est-ce que j’ai gagné ?
- Le droit de te taire et de conduire en silence !
- C’est nul !

Sur ces paroles, il s’exécuta, tandis que des questions taraudaient toujours les esprits d’Ulrich et de Yumi.




Il y a treize ans
A la plage


Après les manèges et la grande roue, à nous le sable blanc et chaud ainsi que la mer bleue et calme ! Depuis le temps que notre bonhomme nous réclame « la mer ! La mer ! La mer !... ». On n’avait pas vraiment le choix ! Alors on se fait une virée dans le sud de la France. Un petit vol en avion, une nuit dans un hôtel sympa pour nous en remettre et nous y voilà en fin de matinée !

A l’entente de ses rires, fouler le sable de ses petits petons est apparemment le premier bonheur de la journée de notre garçon. Le soleil brillait de tous ses rayons et aucun vent ne semblait vouloir troubler la douce chaleur qui régnait. Après avoir trouvé une place satisfaisante, s’être déshabillé, passé la crème solaire, et enfilé les brassières du petit, l’eau bleue nous accueille généreusement avec une température agréable. Dans les bras de sa mère, notre p’tit gars gémissait dans tous les sens à la vue de ses jambes dans la mer qui lui paraissait trop profonde.

- Y a trop de mer !!! S’écrit-il.

Pour le rassurer, je le mets sur mes épaules. Ceci a pour effet immédiat de le calmer. Profitant de la vue qu’il a désormais, il constate tout de même qu’il y avait « trop de mer » autour de nous. Soudain, une gerbe d’eau nous frappe de plein fouet. Les ricanements moqueurs qui s’en suivent ne tardent pas à m’indiquer l’auteur de cette petite blague. C’est ainsi que je me mets à poursuivre ma petite femme en courant dans l’eau avec notre fiston sur les épaules qui rigole encore et encore jusqu’à en perdre son souffle pendant une bonne vingtaine de minutes. A la suite de notre « guerre aquatique », nous retournons tous sur nos draps de plage couverts de l’ombre offerte par le parasol que j’avais préalablement planté. Exténués et encore tous surexcités, nous tentons désespérément de prendre une décision quant à notre déjeuner. « Za ! Za ! » (Ce qui se traduit couramment par « pizza » du langage bébé au langage normal) est voté à l’unanimité. Après la dégustation de notre « quatre fromages » et de nos glaces respectives en guise de désert, une grosse fatigue s’empare de nous et nous impose une sieste digne de ce nom.

Le voyage en avion et la « guerre aquatique » ont eu raison de nous !

Une fois bien réveillé, notre rejeton se met à la construction de son premier château de sable pour imiter les enfants qu’il pouvait apercevoir un peu plus loin. Voyant que ses efforts ne le mènent pas du tout au même résultat qu’eux, il décide de nous sortir de notre sommeil pour l’aider à réaliser son chef d’œuvre. Après quelques petites heures de travail acharné, notre château a vraiment fière allure ! Les hautes tours et les murs solidifiés par le sable légèrement mouillé lui donnent l’apparence d’un véritable château fort. Les fines gravures exécutées par ma femme, à l’aide d’un petit bâton ramené par une vague écumante qui s’étaient échouée non loin de notre position, renforcent le réalisme de notre construction et la rendent vraiment magnifique.
Ni une ni deux, je le photographie pour garder son image intacte à jamais avant que le temps ne s’occupe d’éparpiller chacun des grains de sable qui le constitue. Après cette petite activité, nous retournons faire les fous dans l’eau claire de la Méditerranée, jusqu’à ce que vienne l’heure de quitter la plage pour mettre ainsi fin à cette si belle et douce journée. Le crépuscule ornait déjà le ciel de ses belles couleurs vives et sombres à la fois. Ce spectacle de couleurs joint à l’orchestre des vagues bleues est d’une beauté à couper le souffle. Un léger vent frais vient caresser mon corps. Cette sensation est très agréable, mais une autre qui l’est encore plus stimule ma main gauche : mon petit ange, ma progéniture m’avait silencieusement rejoint pour me saisir tendrement la main et admirer ce beau paysage à mes côtés.
Il ne parlait pas, ne bronchait pas et fixait l’horizon de ses petites prunelles.

- C’est beau la mer.
– Oui, tu as raison, mon fils.

Puis, la contemplation dura encore un petit peu.

- Hé vous deux ! On y va ?

C’était sa mère qui nous appelle. Pendant, que nous fixions l’horizon, elle le prenait en photo. Doucement, comme dans une synchronisation complice, nous nous tournons lentement vers elle. Elle tient toujours l’appareil en main. Conscients de son intention de nous immortaliser avec, nous esquissons tous les deux un timide sourire sur nos lèvres. Hé oui ! La timidité c’est de famille !

Nos mains ne se sont pas lâchées, et on le voit bien sur la photo.



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Treize ans plus tard
Dans la voiture de Sebastian Stern


Toujours pas un mot n’avait été prononcé. C’était comme si rompre le silence équivalait à rompre le cours de la pensée de chacun des passagers. A l’avant, Sebastian était très concentré sur la route tel un pilote de Formule 1, et Jeanne ne cessait de contempler le visage sérieux de son mari. Amusée, nostalgique, rêveuse, elle songeait à son passé et son avenir à ses côtés. Des hauts et des bas ; des joies et des peines, mais pas de regrets quant au choix de l’homme de sa vie. Comme pour s’accaparer un petit peu de lui, elle déposa délicatement sa main sur sa cuisse. La réaction de son mari ne se fit pas attendre : il se détendit immédiatement et quitta la route des yeux quelques secondes pour lui adresser un tendre sourire amoureux, sourire qu’elle lui rendit avant qu’il ne rive à nouveau son regard droit devant lui. L’église St Maxime n’était plus très loin, il faisait beau temps et ça roulait plutôt bien sur l’autoroute. Autant dire que leur arrivée était imminente.




Treize ans avant


Retour à la maison. Ces vacances étaient agréables et reposantes, mais bien trop courtes hélas ! Je me lève donc afin de me préparer pour aller au bureau. Douche, café, un baiser sur le front de mon fiston et un autre sur les lèvres de ma femme, et en route ! Pour elle s’était la même chose, mais en plus relax : elle commençait plus tard que moi. La chance ! Pour adoucir mon humeur, ma femme me murmure à l’oreille qu’une « super surprise » m’attendait pour ce soir. Elle ajouta immédiatement un « bonne journée, mon chéri » avant que je n’ai eu le temps de lui poser quelques questions sur sa fameuse surprise. C’est donc d’un pas décidé et des petites interrogations en tête que je me rends au boulot. A l’arrivée, ma gaieté retombe comme un soufflet. Affaire de meurtre : un jeune homme sauvagement agressé a été retrouvé mort dans un terrain vague. Charmant ! Je jette un coup d’œil sur le rapport d’autopsie : le pauvre gars en a bavé. Mieux vaut ne pas évoquer les détails.
Et bien ! Une belle journée s’annonce… C’est ironique bien sûr ! Mais bon, c’est ça la vie de procureur !
L’inspecteur Shanteau, chargé de l’enquête, passe me prendre à mon bureau afin d’aller sur les lieux du crime. Inspecteur Eric Shanteau : un brave gars un peu plus âgé que moi. Il est passé Inspecteur il y a peu de temps, et son grade récemment acquis faisait la fierté de sa magnifique épouse, Charlène, et de sa petite fille de quatre ans, Charlotte. Sa carrure athlétique et imposante renfermait un cœur extrêmement généreux. Plus compétent que la moyenne, il n’en restait pas moins modeste. Son optimisme et sa fraîcheur, mais aussi son sérieux et son calme dans les moments délicats, lui permettaient d’acquérir à la fois l’admiration, le respect, l’amitié et la confiance des gens qu’il dirigeait. Je l’ai rencontré une seule fois avant mon congé, et tout de suite nous nous sommes très bien entendus.

- Bonjour Procureur ! Tenez, vous en aurait besoin. Me dit-il en me tendant un gobelet rempli du mauvais café délivré par la machine.
- Merci beaucoup Shanteau. Sale affaire, hein ?
- Ca oui, vous l’avez dit. On ferait mieux d’y aller.
- Oui, c’est parti.

Et sur ces mots, nous quittons mon bureau afin de nous rendre sur le terrain vague. A notre arrivée, la macabre découverte ne pouvait que nous sauter aux yeux : le corps inerte de la jeune victime, Hector Boulay, gisait sur le sol. Plusieurs côtes brisées, les bras et les jambes dans un état lamentable (probablement à cause d’une multitude de coups reçus), et enfin le pire : le visage complètement brûlé à l’acide. Heureusement pour nous, le ou les agresseur(s) avai(en)t oublié de lui dérober ses papiers, nous permettant ainsi de procéder à son identification. Les policiers déjà sur place avaient soigneusement établi un périmètre de sécurité autour des lieux à l’aide de cordelettes jaunes. Après une fouille de la victime, ils avaient pu trouver un sachet rempli de poudre blanche dans la poche intérieure de son imperméable. Les analyses furent rapides : cocaïne.

- Sûrement un trafic de drogue qui a mal tourné. Suggéra Shanteau à mon attention.
- Peut-être bien… Mais quelque chose… Me gêne.

Tellement d’acharnement, de hargne, de coups bien placés, d’os brisés, un visage brûlé… Toute cette horreur ne pouvait être liée qu’à un simple business.

- Shanteau, je pense que la drogue n’est qu’une petite partie de ce qui pourrait expliquer le meurtre d’Hector Boulay. L’état de son cadavre indique que les causes étaient beaucoup plus… Personnelles.
- Peut-être avait-il trahi son gang ?
- C’est une hypothèse à retenir, en effet. Mais la brûlure du visage peut nous révéler bien plus. Dans le cas d’un crime calculé et réfléchi, on aurait pris la peine de subtiliser les papiers de la victime et même de brûler ses empreintes digitales après l’avoir tuée pour pouvoir empêcher son identification. Mais là ce n’est pas le cas. Il a été laissé pour mort, sans visage, et en évidence dans ce terrain vague.
- Pouvez-vous développer un peu plus votre idée, s’il vous plaît ?
- D’après le rapport d’autopsie, la mort a été causée par des coups violents à la tête. Donc, dans le cas de notre meurtre le visage brûlé serait plutôt symbolique. Une sorte d’acte destiné à faire comprendre que la victime n’existe plus dans la vie du meurtrier.
- Donc les responsables de la mort de Boulay auraient été en quelque sorte ses « victimes » avant tout ça.
- Exactement. Une trahison personnelle envers un ami, une ex petite amie ou autre. Essayez d’orienter vos recherches dans cette optique sans trop vous focaliser sur la drogue. Si nous trouvons d’abord notre meurtrier « victime » quelque peu instable, le reste découlera naturellement.
- Je reconnais que j’avais tord : votre diplôme de psychologie n’est pas totalement inutile en fin de compte. Compris Procureur, on s’en charge. Vous pouvez vous occupez tranquillement de la paperasse.
- J’espère bien que ce sera « tranquille » comme vous dites, parce que je pense en avoir pour la journée !

Et ça n’a pas loupé ! L’enquête de Shanteau et de ses hommes avançait à la vitesse d’un train à vapeur, et une kyrielle de piles de papiers trônait sur mon bureau. Éplucher le carnet d’adresse d’un dealer c’était comme feuilleter une par une les pages d’un annuaire téléphonique ! Cette affaire semblait compliquée et fastidieuse, mais l’énergie que nous y mettions ne faiblissait pas. Nous savions tous que la résolution de ce meurtre pouvait aboutir au démantèlement d’un réseau de dealer de drogue, et ce serait une belle victoire.
20 h ! Je n’avais pas vu la journée passer tant mon cerveau avait emmagasiné de textes et de données depuis ce matin. Je décide donc d’en rester là pour le moment. Le temps de prévenir mes collègues et de rassembler mes affaires, je me retrouve très vite au volant de ma voiture tout content de retrouver ma petite famille.
Une fois le seuil de la porte franchi, mon petit gars me saute dans bras, heureux de me voir. Je lui rends très affectueusement son étreinte en lui disant qu’il m’avait beaucoup manqué aujourd’hui. J’hume son doux parfum de bébé et caresse ses beaux cheveux bruns. La pureté et la tendresse de ce contact me faisait oublier en partie toutes les atrocités que j’avais vu aujourd’hui. Mon fiston : le meilleur des remèdes contre mes tracas. Après l’avoir reposé sur le sol, je me laisse guider par lui jusqu’à la cuisine d’où une délicieuse odeur se dégageait.

- Bonsoir, M. Le Procureur, m’adresse gentiment ma petite femme.
- Bonsoir, ma chérie. Excuse-moi d’arriver aussi tard.

Elle s’avance vers moi et dépose un tendre baiser sur ma joue pour me faire comprendre qu’elle ne m’en voulait pas et qu’elle était très contente de me voir de retour. A mon tour, je m’empare de ses lèvres tout en passant ma main gauche autour de sa taille. Visiblement comblée, elle approfondit notre baiser encore et encore et encore… Jusqu’à ce qu’une petite voix parvienne à nos oreilles :

- Papa ! Maman ! J’ai faim !

Ah la la ! Ce petit bonhomme ne perdait décidément pas le nord ! Je me dépêche de déposer mes nombreux dossiers précieusement rangés dans ma mallette et de me laver les mains, avant de passer à table. Ce soir c’est riz et poisson.

- Incroyable ! Tu n’as rien fait brûler aujourd’hui, ma chérie !
- Hé ! Fais gaffe à ce que tu dis ! Je sais que je n’ai aucun talent pour la cuisine, mais je fais des efforts !

En effet, ce n’était pas du tout pour ses talents de cuisinière que j’avais épousé ma femme. La cuisine c’est plutôt mon domaine à la maison parce qu’autrement, on mourrait tous de faim ou d’intoxication alimentaire. Ce soir est donc une exception.

- Alors qu’en penses-tu ? me demande-t-elle avec appréhension.
- C’est mangeable.
- Ah ! C’est déjà ça !

Après avoir terminé nos assiettes, nous procédons au débarrassage de la table et au rituel du coucher de notre petit monstre : berceuse, histoire, dodo et le tour était joué !
Malgré le bon moment en famille que nous avons passé, les détails de l’affaire que je menais continuaient de me turlupiner. L’eau brûlante de la douche ne les faisait pas s’envoler avec sa vapeur, mais elle me permettait tout de même de me sentir plus détendu et apaisé : c’était un moment propice à la réflexion… Quoique.

- Chéri ? Tu as fini ?!

C’était ma femme qui m’appelait. Son appel était étrange, limite inquiétant. Un mélange d’excitation, d’appréhensions et de frustration. Bon sang ! Qu’avais-je donc fait encore ?
Remarque, avec son caractère bien trempé un rien pouvait l’irriter. Mais qu’est-ce qu’elle est sexy quand elle est en colère ! Bon… Calme-toi mon vieux et va donc voir ce qu’il se passe. Après avoir quitté la salle de bain, je rejoins assez vite notre chambre. Mon pas est pressé, déterminé, mal assuré, un peu comme à notre premier rendez-vous Un merveilleux moment d’ailleurs… Euh… Vaut mieux que j’accélère moi !
Quand je pénètre dans la chambre déjà plongée dans la pénombre, je ne vois que la silhouette de mon épouse assise sur notre lit. Dans l’ombre, je ne peux distinguer ses yeux, mais je devine qu’elle me dévisage intensément. Que se passe-t-il, ici ? Comme pour lui prouver que j’étais disposé à l’écouté, je lui dis que je suis là. Elle ne répond pas, me dévisage encore quelques secondes et baisse les yeux avant de s’écarter légèrement comme pour m’inviter à m’assoir. Perplexe, j’obéis à sa requête silencieuse. Je la connais bien ma femme : elle ne baisse jamais les yeux. Trop fière, trop orgueilleuse, trop belle, mais que me cachait-elle ? Je me décide à rompre cette pesante atmosphère en déposant délicatement ma main sur sa cuisse nue sous sa fine nuisette pourpre, ma préférée. Elle tressaute à ce contact et me fixe à nouveau avec une drôle d’expression. Ses magnifiques cheveux bruns recouvraient partiellement son visage. Je les écarte doucement de mon autre main et lui offre toute la tendresse que j’ai en caressant sa nuque. Sa chaleur, sa douceur, son odeur… Tout m’enivre. Je m’approche pour goûter à ses lèvres et elle entreprend le même mouvement. Sa chaleur, sa douceur, son odeur à quelques centimètres…

- Non attends. Il faut qu’on parle d’abord, me dit-elle en détournant son visage du mien.
- Bon très bien. Qu’est-ce qui t’arrives, ma chérie ?

Elle s’éloigne un peu de moi, lâche un profond soupir, puis plante son regard dans le mien avec détermination. Mais son discours ce fait tout de même saccadé et hésitant.

- Je… Tu te rappelle que ce matin je t’ai dit que… J’avais… « Une surprise » pour toi ?
- Oh ? J’avoue qu’avec tout ce qui s’est passé aujourd’hui au travail j’ai oublié ça. C’est une bonne surprise ?
- Ça dépend de comment tu vois les choses.
- Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
- Euh… Toute la journée je m’imaginais cette scène. Toi qui rentrerais épuisé du travail, le petit qui serait baigné et couché, ensuite… On aurait cette fameuse conversation à propos de cette fameuse surprise, on serait heureux et contents et on ferait l’amour toute la nuit. Pourquoi crois-tu que j’ai mis ta nuisette préférée ce soir ?
- Ben… J’en sais…
- Tais-toi ! Je ne te demande pas de répondre, c’était une question de rhétorique !
- Excuse-moi !

J’avoue qu’elle me touche et me fait peur à la fois !

- Ce que je vais t’annoncer est… Une bonne nouvelle… Théoriquement… Une très bonne nouvelle, mais comme on en a jamais discuté j’avais peur que tu te fâches et que ça change tout entre nous…

Je ne sais pas vraiment ce qui m’arrive, mais je viens d’avoir le réflexe de la saisir vivement par les épaules. Je les serre un peu fermement comme un ami rassurant, comme un mari aimant. Ce que je suis. Ce que je serai toujours.

- Tout ira bien ma chérie. Je t’aime et je suis sûr que tout va très bien se passer. Je t’écoute.
- Je suis enceinte, mon amour.
- Tu… Tu en es sûre ?
- J’ai fait le test deux fois.

Mes doigts se crispent pendant une fraction de seconde sur ses épaules. Waouh ! Ça pour une surprise !

- J’étais épuisé quand je suis rentré du boulot avant de dîner.
- Quoi ? demande-t-elle interloquée.
- Le petit est baigné et couché. Tu m’as dit que tu étais enceinte et moi je te réponds que ça me rends infiniment heureux de devenir papa pour la deuxième fois de ma vie, que j’aime déjà l’enfant que tu portes et que tout se passera très bien… Si tu es heureuse aussi bien sûr.
- Evidemment que je le suis ! Je… Je t’aime tellement !
- Moi aussi, ma chérie.

Cette fois, sans aucune hésitation, elle précipite ses lèvres sur les miennes. La surprise, la joie, le désir, la volupté, la sensualité se peignaient de par les mouvements de nos bouches et de nos mains. Avec envie et un soupçon d’autorité, elle m’allonge complètement sur le lit et retire mon débardeur tandis que je parcoure inlassablement la rondeur de ses fesses sous son alléchante nuisette pourpre. L’euphorie et l’extase se faisant de plus en plus grands, je stoppe un très court instant ce très agréable moment pour lui demander ironiquement :

- On est heureux et contents ?
- Oui. Tu te souviens de la suite du programme ? répond-elle en retirant son habit dans un mouvement d’une lenteur intolérable.
- On va faire l’amour toute la nuit !
- Exact, M. Le Procureur.

Et suite à cette sensuelle affirmation, nous fêtons énergiquement et passionnément la future existence du nouveau membre de notre petite famille.





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Aujourd’hui

Sebastian gara sa voiture parmi celles des autres invités dans un parking non loin de la petite chapelle où se dérouleront la cérémonie et le reste de la fête. Le terrain était immense : l’édifice religieux assez moderne trônait fièrement au devant d’un grand jardin – ou un petit bosquet plutôt - où une tente avait été plantée pour contenir la réception. A quelques mètres de celle-ci, on remarquait une ébauche de scène sans doute prévue pour un orchestre. Bien que l’heure-H approche inéluctablement, certains préparatifs de dernière minute se faisaient à la hâte. En effet, malgré le temps particulièrement clément qui s’offrait en cette matinée, l’ambiance était pour le moins orageuse : on courrait, hurlait, gesticulait et s’engueulait dans tous les sens. La scène du groupe de musiciens n’était pas finie, le banquet n’était pas encore tout à fait dressé, et quelques décorations manquaient encore… Non ce n’était pas le mariage d’une quelconque princesse d’un quelconque pays : c’était pire que cela… C’était celui de la mariée la plus exigeante et la plus colérique du monde, et tout se devait d’être parfait ! C’est dans un pas mal-assuré et prudent que Yumi et la famille Stern se risquaient dans cette véritable débâcle. La tête de Sebastian montrait bien qu’il n’avait déjà qu’une envie : remonter dans sa voiture et rentrer chez lui le plus vite possible ! Jeanne le devina très bien et tenta de le rassurer en lui disant qu’après la cérémonie l’ambiance serait sûrement plus détendue. Il n’en croyait pas un mot mais acquiesça tout de même avec un petit sourire ironique style « mais oui chérie, continue de rêver ! ». Ulrich fit remarquer à tout le monde l’attroupement d’invités qui s’était formé à proximité de l’entrée de l’église et ils le rejoignirent à leur tour. En se rapprochant ils perçurent une voix – plutôt deux voix qui n’en faisait qu’une – qui les interpellait.

- Jeanne, ma chérie, par ici !

Cette dernière reconnut aussitôt la voix grave et caressante de son père, et la voix fluette et rassurante de sa mère. Voir ses parents était toujours un très grand bonheur pour elle. Certes sa vie de femme l’avait inévitablement séparée d’eux et du cocon qu’ils lui avaient offert, mais elle n’oubliait jamais de rester leur petite fille chérie qu’ils aimaient tant. Elle n’était pas de ces personnes ingrates qui, après avoir quitté le « nid », ne considéraient plus du tout l’amour et la tendresse que leur parents leur avaient donné sans compter auparavant. Elle, elle avait eu cette chance d’en recevoir en quantité, et qui plus est dans un milieu plutôt aisé avec une éducation adéquate mais jamais excessive. Elle les étreignit tous les deux aussi fort qu’elle le pouvait pour leur montrer à quel point elle était contente de les voir. Chacun leur tour, ils déposèrent un tendre baiser sur son front, puis saluèrent chaleureusement Sebastian, leur « petit-fils adoré » et sa petite amie.

- Alors ma chérie ? Cela fait un petit moment que nous n’avons plus de tes nouvelles ! Commença Éloïse, sa mère.
- Tu sais bien qu’avec mon boulot je n’ai plus le temps, Maman !...
- Oui, et bien puisque tu en parles tu ferais mieux de lever le pied pendant quelques jours ! Tu as l’air vraiment fatiguée, ma puce. Et inutile de protester ! Une mère sent ces choses-là !
- Maman ! S’insurgea Jeanne.
- Heureusement qu’il y a mon merveilleux gendre pour s’occuper de ma petite fille ! N’est-ce pas, Sebastian ?
- Bien sûr, Éloïse. Tu peux toujours compter sur moi pour ça ! répondit l’intéressé.
- Moi aussi je lui fais confiance dans ce domaine. Il sait très bien ce qui l’attend dans le cas contraire.

Cette phrase avait été prononcée par Maxime Théodore Deblois, alias Max pour son entourage. Un bonhomme d’un certain âge tout comme son épouse certes, mais dégageant un charisme et une personnalité très imposants. C’était un homme fort, solide et déterminé. Malgré sa retraite prise quelques mois plus tôt, il conservait encore certaines manies de patrons (surtout envers Sebastian). L’œil inquisiteur, le ton grave et oppressant qu’il employait. Néanmoins, on ne pouvait pas vraiment le lui reprocher. C’était une sorte de seconde nature chez lui.
De toute sa vie, Jeanne n’avait jamais entendu son père élever la voix. Il n’en avait pas besoin. L’intonation suffisait, les mots – qu’il choisissait l’un après l’autre en les détachant – terminaient le travail. Un « non » dans sa bouche sonnait comme un « jamais », un ordre devenait une priorité absolue. Ses paroles inspirées d’une profondes réflexion nourrie par une impressionnante culture sonnaient quasiment toujours juste, ce qui lui valait le respect et l’admiration. Cependant, on ne pouvait s’empêcher de se sentir intimidé et petit devant lui. Seules les femmes de sa vie, Éloïse, Célia et Jeanne connaissaient parfaitement bien la douceur et la tendresse que contenait son cœur ferme, mais très généreux.
Légèrement surpris par l’intervention de Max, Sebastian n’arrivait pas à se décider à le prendre sur le ton de la plaisanterie ou de la menace. Il fit tout de même bonne figure en rétorquant immédiatement.

- Il n’y a aucune raison pour qu’il y ait un cas contraire, Max, rassure-toi.

Le vieil homme répliqua par un sourire dont on ne savait s’il le voulait froid ou chaleureux.
Depuis qu’ils se connaissaient, ces deux hommes se disputaient le cœur de Jeanne, bien que celle-ci leur faisant sans cesse remarquer à quel point cela était ridicule. Mais que voulez-vous ? D’un duel entre un papa poule et un jeune coq arrivant résultait souvent ce genre de conflit. Conflit assez violent au début, mais heureusement plus apaisé maintenant. Nettement plus apaisé – malgré ce que laissait paraître le très court dialogue qu’il venait de se livrer -.
Jeanne intervint pour faire redescendre la tension qui régnait en affirmant que tout allait bien dans le meilleur des mondes et en laissant échapper des rires nerveux trahissant l’agacement et la gêne qu’ils lui imposaient (comme d’habitude). Tout le monde alla très vite dans son sens et songea à l’événement du jour. Tandis que les adultes discutaient « entre vieux », Ulrich décida d’entraîner Yumi par la main dans les environs afin de trouver une compagnie plus sympathique – plus compatible sur le plan des générations, disons -. Au moment où la jeune japonaise lui demande s’il cherchait quelqu’un en particulier, il crut deviner au loin la silhouette de la dite personne et lui demanda de l’attendre un moment là où elle se trouvait. Avant même qu’elle n’ait eu le temps de protester, il avait déjà disparu et une de ses angoisses se matérialisa : se retrouver sans Ulrich pendant la fête au beau milieu d’une foule de gens qu’elle ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam ! Un soupire d’exaspération s’échappa de ses lèvres alors qu’elle tentait de le retrouver du regard. Mais quel imbécile celui-là ! Me planter comme ça au milieu de tout le monde ! Gênée, elle désobéit à son ordre et alla s’isoler du reste de la foule, à la lisière du petit bois, en espérant qu’Ulrich la remarquerait tout de même en revenant. S’il revient, cette andouille ! C’est alors qu’elle sentit une main se déposer doucement sur son épaule.

- Bonjour, qui es-tu ? Il ne me semble pas que nous ayons déjà été présentées. Je m’appelle Lana, Lana Deblois.
- Euh… Bonjour, moi c’est Yumi… Yumi Ishiyama.



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Elle serra la main que l’étrangère lui tendait aimablement. La poignée était ferme mais d’une douceur rassurante, exactement comme le visage de l’inconnue. Ses lèvres s’étiraient en un sourire chaleureux mais pas trop, comme pour rester dans les domaines de la courtoisie et de la politesse. Ses magnifiques yeux verts soulignés par sa robe marron clair assortie à ses cheveux bruns raides au possible donnaient l’impression de dégager toutes les couleurs d’une forêt à eux seuls. Son regard captivait, subjuguait et toisait Yumi.

- Enchantée de faire ta connaissance, Yumi. Susurra Lana.

Sa voix était cristalline et harmonieuse. Elle est peut-être chanteuse ? Songea Yumi. En tout cas, cette fille était un véritable paradoxe : un mélange de douceur, de spontanéité et de sympathie, contrastant avec une certaine rigueur et une discipline stricte du corps et du verbe, comme encrées en elle. Sûrement était-ce dû à une éducation de privilégié à en voir son port de tête impérial et ses ongles parfaitement manucurés.

- Moi de même, Lana. Finit par lâcher Yumi avec un sourire timide.
- Dis-moi, tu es seule ou accompagnée ?
- Accompagnée. J’attends quelqu’un qui… (L’abandon d’Ulrich lui revint en tête) ne devrait plus tarder.
- Je vois. S’agit-il de ton petit ami ?
- En effet. Répondit-elle rougissante.
- Et bien, désires-tu que nous l’attendions ensemble ?
- Avec plaisir.

La japonaise se sentit plus tranquille. Lana semblait à peine plus âgée qu’elle et d’une compagnie très agréable.

- Je dois avouer que je ne suis pas très à l’aise lors de ce genre d’événement, mais cette journée va être bien remplie d’après ce qu’on peut voir… Entre la cérémonie, la nourriture et la musique… On ne peut pas dire que les choses aient été faites à moitié.
- Oui. Maman ne tolère aucun manquement... Lâcha Lana dans un demi-soupir.
- Et puis les invités qui grouillent de partout… Continua Yumi qui ne l’avait pas vraiment entendue.
- Je ne les connais pas tous. Ne pas mettre de nom sur un visage est une chose que je ne supporte pas. Et encore moins lorsque ce sont des individus qui sont sur le point de faire partie de ma famille.
- Et aussi… Elle s’interrompit. Euh… Lana j’ai bien entendu, tu as dit « Maman » et « faire partie de ta famille » ?
- Tu as bien entendu Yumi. Confirma-t-elle avec un léger sourire.
- Donc tu es la… La fille de la mariée ?!
- C’est exact et la demoiselle d’honneur en passant.
- Mais alors tu es la nièce de Jeanne et Sebastian, et par conséquent la cousine d’…
- Yumi… Coupa-t-elle d’une voix empreinte d’une soudaine gravité.
- Oui ?
- Il y a une petite chose que je voulais te dire…
- Je t’écoute. Fit-elle gênée face à ce léger changement dans son attitude.
- Je voulais te dire que ta robe te va très bien.
- Ha ? Euh… Merci beaucoup. Toi aussi tu es superbe ! Répondit-elle plus détendue.
- Excuse-moi, je me suis mal exprimée. Ce n’est pas là où je souhaitais en venir.
- Qu’est ce qu’il y a, alors ?
- Ce que je veux dire c’est que tu es très belle.
- Oui j’avais comp…
- Tu es vraiment vraiment magnifique. Insista-t-elle.

Sortie de l’emprise de son magnifique regard vert forêt, Yumi se rendit compte que le visage de Lana était très, voir trop près, du sien. Ce fut à cet instant que la japonaise saisit l’ampleur des compliments qu’elle venait de lui faire, ainsi que la nature de la « sympathie » qu’elle lui témoignait depuis le début. Elle décida donc d’écarter tout malentendu.

- Navré Lana, mais je ne suis pas… je ne… Elle peinait à formuler ce qu’elle voulait dire. Normal, ce n’est pas tous les jours qu’elle se retrouvait dans une telle posture.
- Tu n’es pas quoi, Yumi ? Souffla la jeune femme en écourtant encore la distance qui les séparait de quelques centimètres.

Je n’aime pas les femmes ! Bon sang Yumi dis-le lui avant qu’elle ne te saute dessus ! Mais l’esprit n’avait aucune incidence sur le corps tellement cette situation embarrassante la paralysait. Au fur et à mesure que Lana se rapprochait, la température du corps de Yumi augmentait, et sa respiration s’accélérait. Pourvu qu’elle ne prenne pas ça pour de l’excitation ! Comme les lèvres de Lana se rapprochaient inexorablement de leur destination, Yumi se dit qu’elle était cuite et qu’elle allait recevoir son premier – et elle espérait bien son dernier – baiser de la part d’une fille dans quelques secondes ! Bon sang Ulrich, mais où es-tu ?!!




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Alors que l’inévitable était sur le point d’arriver, dans un miracle inespéré, Lana stoppa son mouvement et sembla faire un léger retrait. Sauvée !

- Le voilà. Laissa-t-elle planer avec une pointe de désinvolture que Yumi ne lui connaissait pas jusqu’à présent.

Avant qu’elle n’ait le temps de diriger son regard dans la même direction que celui de Lana, elle reconnut la voix de la seule personne dont elle acceptait volontiers les baisers.

- Non mais qu’est-ce que tu fous, Lana ?! T’es dingue ou qu…
- Oh ça va minus ! Ne monte pas sur tes grands chevaux je ne comptais rien faire du tout.
- C’est pas une raison !

Minus ? Voilà un mot bien en dehors du vocabulaire soutenu qu’elle employait jusqu’à maintenant. En tout cas, Ulrich avait l’air fou de rage.

- Décidément tu ne changes jamais Ric ! Et ce depuis qu’on est tout petits, à chaque fois que je te fais une blague tu ne marches pas… Tu cours ! Un marathon de plusieurs kilomètres, en plus ! Toujours avec tes mimiques de minus, ta voix de minus, tes yeux de minus. Bref… T’es un minus ! Dit-elle en riant à gorge déployée toute fière de sa blague.
- Et toi t’es toujours la même peste ! T’as beau être plus vielle t’es toujours une crétine !!!

Et pendant qu’ils s’insultaient, s’envoyaient des noms d’oiseaux, et se remémoraient des anecdotes gênantes pour l’un comme pour l’autre, Yumi les regardait faire. L’embarras de la situation ne l’avait pas quittée mais elle ne perdait pas une miette du véritable cartoon qui défilait sous ses yeux. Quand les deux protagonistes se rappelèrent de sa présence, ils se calmèrent et firent silence aussitôt. Lana le brisa.

- Et puis toi aussi, tu parles d’un gentleman ! Laisser sa petite amie comme ça au milieu de personnes qu’elle ne connait pas.
- Je croyais t’avoir vue au loin. Comme il y avait trop de monde j’ai demandé à Yumi de m’attendre deux minutes le temps de te ramener et de te la présenter.
- Tu aurais pu me prévenir avant, je me suis sentie bien bête moi ! Intervint l’intéressée.
- Désolé, j’ai confondu Lana avec la future belle-sœur de ma tante flanqué de son frère et de ses parents. Et du coup ils ont insisté pour me garder avec eux afin de « faire connaissance » Gémit-il.
- Comment ont-ils su qui tu étais ? Demanda sa cousine.
- Il paraît que j’ai la même tête que mon père.
- Ça c’est sûr ! La même tête de cochon !
- Hé ! Fais gaffe à ce que tu dis toi avec ton humour pourri !
- Bon désolée, j’arrête, Ric. Enfin je tiens surtout à m’excuser auprès de toi Yumi, j’ai dû légèrement te déstabiliser.
- Légèrement ?! S’indigna la pauvre victime du gag.
- Bon d’accord, énormément. Mais saches que tout ceci avait pour but d’irriter mon cher cousin, ça n’avait rien à voir avec toi ! Et puis… J’ai déjà une petite amie.
- Oui m… Mais tout de même ! Bafouilla Yumi.
- Tu ne craignais absolument rien je t’assure ! En fait, dès que tu m’as dit ton nom je savais déjà que tu étais la copine de Ric. Désolée pour tous les troubles que ma blague a pu te causer. En tout cas, j’étais sincère quand je t’ai dis que j’étais ravie de faire ta connaissance, que je te trouvais magnifique et que je ne comptais pas te toucher. Tu veux bien me pardonner ?

Elle avait posé cette interrogation avec un ton penaud et sincère en lui tendant une main bien moins assurée que la première fois. La jeune femme distinguée et sûre d’elle du début avait fait place à une gamine de huit ans ! Elle n’en restait pas moins drôle et attachante.

- D’accord… Mais ne me fais plus jamais de coup pareil ! Répondit Yumi en lui donnant une poignée amicale.
- Promis !
- T’as de la chance que ma petite amie soit très gentille !
- Oui. Très gentille et très jolie… Je me demande bien ce qu’elle te trouve !
- Tu ne vas pas recommencer !
- Ou sinon quoi ? Tu sais très bien que je suis capable de te mettre une raclée et de me faire les ongles en même temps !

Et c’était vrai. Hautement gradée dans plusieurs arts martiaux, avec une préférence pour le taekwondo, elle avait déjà étalé son petit cousin plusieurs fois au sol (avec ou sans tapis) sans que ne s’écoule la moindre goutte de sueur sur son front... Dire que cette fille était dangereuse était un euphémisme.

- Non, non on ne va pas recommencer. On ferait même mieux de reprendre les présentations du début. Suggéra Yumi.
- Oui, excellente idée. Alors Yumi voici mon idiote de cousine, Lana…
- Ferme- là minus, je peux me présenter moi-même ! Donc, comme il vient de te le dire je suis sa cousine, j’ai dix-huit ans et je suis l’aînée de trois petits frères.
- Trois ?! Déjà que j’ai du mal à en supporter un seul !
- Je vois ce que tu veux dire. Et ceci fait de moi l’une des rares jeunes femmes de la famille.
- « Femme » c’est un bien grand mot pour toi. Intervint ironiquement son cousin qui esquiva de justesse le taquet qu’elle allait lui mettre.
- Quand tu auras pris quelques centimètres et du poil au menton, on en reparlera minus !
- Laisse-moi tranquille ! Et ils sont où tes frères, d’ailleurs ?
- Cloués au lit.
- En même temps ?
- Épidémie de gastro.
- Je vois. Et tu es la seule à y avoir échappé ?
- Que veux-tu que je te dise ? Ils sont faibles, voilà tout.
- Dix-huit ans ? Tu ne vas pas tarder à passer ton bac, alors ? Demanda Yumi.
- Et oui. A la fin de l’année je passe mon bac ES, et ensuite j’entamerai des études de droit à la fac. D’ailleurs minus, j’aimerais voir ton père pour en discuter un peu avec lui.
- Il est avec Maman en train de parler du mariage avec Papi et Mami.
- Je vais m’abstenir alors. Je vais me taper la belle-famille toute la journée, autant discuter de tout ça le plus tard possible avec eux !
- Ta petite amie n’est pas avec toi ?
- Elle devait venir, mais elle a eu un empêchement.
- Et comment il est ce Stephan ? Demanda Yumi.
- Beau-papa numéro 3 ? Plus crétin que le numéro 2 et mieux fringué que le numéro 1.
- Ça ne va pas vraiment l’aider Lana.
- Euh oui pardon. Disons que si son ego pouvait se matérialiser en une véritable personne c’est lui qu’il épouserait aujourd’hui.
- Je confirme. Commenta le jeune Stern.
- Ses costards sont faits sur mesure et il en porte un différent chaque jour de la semaine ! D’ailleurs c’est drôle parce que c’est grâce à ça que je sais quel jour on est.
- C’est très pratique, en effet. Pouffa légèrement la japonaise.
- Toutefois… Quand il est avec Maman, il n’est plus aussi obnubilé par son paraître. Il est même assez gentil et droit. Je pense que c’est quelqu’un de bien.
- C’est plutôt positif.
- La deuxième partie est rarement visible… mais elle a le mérite d’exister. De toute façon tant qu’il aime ma mère ça me suffit. Un peu comme toi avec mon minus de cousin.

Elle avait repris sa voix musicale et douce. Et pour la première fois, le mot « minus » pris une connotation tendre.

- Je n’ai pas… l’intention de… La gêne empêcha Yumi de terminer sa phrase.
- Lana ! S’insurgea légèrement Ulrich.
- Il n’y avait aucune menace ou insinuation dans ce que je viens de dire, je souhaite sincèrement que tout se passe bien entre vous. Et puis on ne se voit plus beaucoup Ric, donc je veux m’assurer que tu sois en bonne compagnie. Nous ne sommes plus au temps où nous étions trois : toi, moi et super minus !
- Super minus ? Répéta Yumi à l’interrogative.
- Oui ! Super minus… Son... Maxence, un de ses petits frères qui jouait avec nous ! Bredouilla faiblement Ulrich dans un enthousiasme forcé.
- Maxence ? Mais qu’est-ce que tu dis, Ric ? Je…

Le teint livide, les lèvres tremblantes et les yeux débordant de panique de son cousin l’interrompirent. Yumi située entre les deux et le regard tourné vers elle ne pouvait observer le visage de son compagnon qui blêmissait lentement, qui se décomposait progressivement. Son sourire joyeux l’avait quitté pour laisser place à une grimace exagérée sensée lui ressembler. Des perles de sueur se formaient sur son front comme si un nuage noir surplombant uniquement sa tête déversait une pluie diluvienne. Son corps était transi d’angoisse, pétrifié. Au détour d’un mensonge, il avait changé du tout au tout. Yumi ne voyait rien, Lana si. Elle vit notamment que dans un effort considérable, Ulrich articulait sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche une demande, presque une prière à son attention : Tais-toi. Je t’en prie. Le malaise de son cousin l’atteignit tel un virus se propageant dans une population. La forêt de ses magnifiques yeux s’agita au rythme de la bourrasque d’interrogations et d’inquiétude qui faisait palpiter son cerveau, mais heureusement, elle réussit à se reprendre en un quart de seconde. Un premier battement de cils calma ses iris couleur émeraude, un second fut lancé à Ulrich en signe de coopération.

- Maxence… Bien sûr. Ma mémoire doit sans doute me jouer des tours. Dit-elle avec un ton dont la gravité plombait l’engouement factice qu’elle souhaitait transmettre. Tout compte fait… Je pense que je vais aller voir ton père maintenant, Ulrich. Après la cérémonie ça va sans doute être l’effervescence autour de Maman et moi, alors je vais le faire tout de suite.
- D’accord, on se voit plus tard alors. Acquiesça le jeune homme encore légèrement fébrile.
- Et… J’aimerais bien bavarder avec toi seul à seul. Histoire de rattraper tout ces longs mois où on ne s’est pas vus. Si ça ne t’embête pas, Yumi.
- Aucun problème, je comprends. On se voit à la cérémonie.
- Oui, ça ne devrait pas tarder d’ailleurs, ne vous éloignez pas trop.

Sur ce, ses pas se dirigèrent en direction de la foule qu’elle fendait de sa démarche aérienne et élégante que rien ne pouvait perturber. Pas même l’étrange comportement d’Ulrich qui n’avait pas quitté ses pensées. Voyant sa cousine s’éloigner, ce dernier se détendit un peu et lâcha un léger soupir de soulagement. Yumi fit une lente volte-face vers lui avant de planter son regard dans le sien. Elle le fixa quelques secondes sérieusement comme si une question la turlupinait. Les tempes battantes, Ulrich ne laissa rien paraître et se risqua à lui demander ce qu’elle avait. La réponse/question de sa petite amie fut singulière, mais lui valut un autre apaisement.

- Je peux t’appeler Ric ? Fit-elle timidement.
- Qu… Quoi ? Demanda-t-il étonné.
- J’ai entendu Lana t’appeler comme ça.
- Hors de question ! S’exclama-t-il en riant un peu.
- Pourquoi pas ?! Je ne le ferai que quand on sera entre nous. Tu m’appelles bien Yu toi des fois !
- Je sais mais je ne peux pas accepter quand même.
- Et pourquoi ? Minauda-t-elle avec un air malicieux.
- Parce que… Elle est l’une des très rares personnes à pouvoir m’appeler par ce diminutif. Il vient d’une histoire assez personnelle.
- Trop personnelle pour pouvoir m’en parler ?

Il hésita une seconde.

- Oui pour l’instant... Mais je le ferai un jour ma chère Yu. C’est promis.

Un soupçon de tendresse avait enrobé sa dernière phrase. Yumi fondit instantanément d’amour pour lui, et dans ses bras qui s’étaient délicatement refermés sur elle aussitôt. Les yeux dans son dos, Ulrich concentrait son regard sur la caresse douce et régulière de ses doigts sur les hanches de sa copine. Le mouvement cadencé de son index et de son majeur le plongea dans une certaine transe, tel un métronome que l’on écoute en boucle jusqu’à ne plus faire attention au son qu’il émet. Graduellement, il ne percevait plus le violet de la robe de Yumi, puis ses deux doigts l’effleurant doucement, puis l’herbe verte sous leurs pieds. Il n’était plus là. Il était ailleurs. Loin. Dans le passé.



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Il y a treize ans… et neuf mois.
Hôpital St Joseph – Paris


L’affaire Boulay a été bouclée il y a deux semaines. Comme je le pensais, le meurtre du jeune Hector renfermait un secret bien plus profond qu’une simple affaire de deal. Sa petite amie, Lisa Donnadieu – qu’il avait engrossée au passage – ne supportait plus qu’il aille chercher… « Une bonne compagnie » auprès d’autres filles, en plus de ses activités pas tout à fait légales. La jeune fille a alors demandé à son grand frère et quelques uns de ses « potes » de lui régler son compte… Définitivement. Je ne sais pas comment elle l’a su, mais le fait est qu’elle était au courant de mon arrivée ainsi que celle de la police dans son appartement. Nous avons retrouvé la coupable dans sa chambre. Pendue. La lettre de suicide qu’elle avait laissée à sa famille relatait les détails de son plan (comment attirer Hector dans au terrain vague, où se procurer l’acide…). Au fil de ses lignes, elle avouait ses ignobles et cruels desseins, mais on ne pouvait en aucun cas passer à côté de sa souffrance. Elle alternait les reproches, les insultes, les menaces, les bons souvenirs, les mots d’amour, les projets d’avenir qu’elle destinait au défunt père de son bébé. A lui, elle lui demandait pardon de ne pas lui permettre de voir la lumière du jour, mais lui jurait qu’elle lui évitait sûrement des moments pénibles et injustes. Sa dépression, sa folie et sa tristesse l’ont donc poussé au pire. Ce jour-là, je me suis dit que le monde était vraiment dégueulasse. J’étais furieux, en colère. En colère contre ce petit con d’Hector, et en colère contre le monde qui n’a pas su voir le désarroi de Lisa et l’en sortir. Oui, je me suis dit que le monde était vraiment dégueulasse… Jusqu’à aujourd’hui.

- Bon, et bien c’est officiel, chérie. J’annonce tout fier.
- Quoi donc ?
- Nous auront une majorité de mecs à la maison !
- Seb ! Ce que tu peux être idiot parfois ! Rétorque ma femme épuisée mais égayée par ma remarque.
- Seulement parfois ? Et puis ça tu le savais déjà avant de m’épouser, Jeanne.
- Oui mais là je viens de mettre notre enfant au monde : j’ai le droit à un temps mort ?!
- Tu as le droit à tout ce que tu veux, mon amour. Je murmure en me voulant le plus doux et le plus attentionné possible.

Je rapproche mes lèvres et les déposent sur les siennes. Quelles foutaises ces mythes comme quoi le mariage et le quotidien rendaient chaque moment de vie d’un couple de plus en plus amer, sans saveur, dépourvu de l’émoi des premiers jours. Car ce baiser que nous échangeons, ceux que nous avons échangés et ceux que nous échangerons encore sont et seront tout aussi doux, passionnés, tendres et sensuels que le premier, sinon plus. Un goût et une sensation uniques dont je ne pourrai jamais me passer. Un geste banal en apparence mais dont la nécessité est omniprésente. Dire que je m’étais juré étant petit de ne pas tomber dans le piège du grand amour et des échanges de salives qui s’en suivaient ; ma foi, j’étais bien bête, car quand c’est avec la femme de sa vie, son âme sœur, sa moitié, mon univers tout entier, c’est un « piège » dans lequel je fonce avec plaisir. Je romps notre délicat geste d’amour pour poser mes lèvres sur le minuscule bonnet jaune qui recouvrait la tête de notre fils. Ce petit bonhomme a eu plus de mal à venir que le premier : une césarienne fut nécessaire. Heureusement tout va bien, aucun problème à l’horizon ni pour Madame, ni pour le p’tit : une journée qui commence merveilleusement bien (et oui, il est arrivé à 9h02). La tête posée juste en dessous des seins volumineux de sa mère, il m’observe d’un regard inquisiteur. Celui-là je ne pourrai pas le renier : je fais exactement la même tronche quand quelque chose me chiffonne. Après m’avoir passé au crible, il fait de même avec ce qu’il pouvait apercevoir du reste de la pièce. Je laisse échapper une pensée à haute voix :

- Il est vraiment craquant.
- Les chiens ne font pas des chats, mon chou.
- Quoi ? Je ne connais pas cette expression.
- Ça veut dire qu’avec des parents comme nous, il ne pouvait en être autrement, mon cœur.
- Oh ! Maintenant j’ai compris. Il m’a l’air aussi curieux et dégourdi que son grand frère. Je sens que ça va être sportif à la maison !
- Oui ben d’ici à ce qu’il marche et qu’il parle on a encore un peu de répits… Quoique le premier a été à surveiller dès qu’il a su marcher à quatre pattes !
- T’inquiètes pas ma chérie, tout ira bien.
- Je sais. D’ailleurs, il serait peut être temps de lui faire rencontrer son grand frère à ce petit monsieur. Il est toujours dehors ?
- Oui, avec tes parents.
- Bien, alors fais-le entrer d’abord et dis à Papa et Maman de venir après.
- D’accord.

Je me lève, me dirige vers la porte, mets la main sur la poignée, fronce les sourcils et penche la tête sur le côté en signe d’hésitation, puis me retourne :

- On est sûrs pour le prénom ?
- Certains !
- Ok.

Cette fois j’y vais. Je longe le couloir en direction de la salle d’attente. Les murs blancs et pâles de l’hôpital ne laissent vraiment pas croire que c’est un endroit magique où l’on y met des enfants au monde. Et pourtant ! Je passe devant la grande vitre de la fameuse pièce remplie de couveuses avec des vies de quelques heures ou de quelques jours à peine dedans. C’est dingue, dire qu’on a tous été comme ça. Dire que j’ai été l’un de ces enfants choyé et dorloté à ma propre naissance… C’est presque surréaliste. Dire que l’enfant de Lisa aurait pu finir ici… Chasse ces images de ta tête et ressaisis-toi, mon vieux ! Je continue mon chemin d’un pas serein, presque traînant. Pourquoi se presser ? Je suis père et en congé paternité, la vie est belle ! Tout semblait au ralenti autour de moi, j’étais dans ma bulle, dans mon monde, sur mon nuage. Décidément l’euphorie de la deuxième paternité est aussi forte que la première ! Enfin, je t’aperçois mon fiston à quelques mètres. Tu étais assis sur les genoux de ton grand-père et discutait calmement avec ta grand-mère. Néanmoins, ton impatience se trahissait à travers le mouvement de balancier que tes petits petons effectuaient dans le vide. Moi aussi mon fils j’ai hâte que vous vous rencontriez. Je me rapproche doucement, Éloïse et Max tournent la tête vers moi. Je leur lance un clin d’œil pour confirmer que tout va bien, puis je m’agenouille lentement en face de toi pour te regarder droit dans les yeux. Ils sont vifs et pétillants, on y lit la malice, la joie de vivre, le bonheur de former une plus grande famille. Oui, le bonheur à l’état pur.

Le monde peut être beau aussi finalement.

- Tu veux voir ton petit frère, mon chéri ?
- Oui ! Tout de suite, Papa ! Tout de suite ! Fais-tu en sautillant gaiement.
- D’accord bonhomme, c’est parti. Vous nous rejoignez un peu plus tard ? J’annonce à mes beaux-parents.

Ils acquiescent et nous nous mettons – très - vite en route. En chemin, l’excitation sur ton visage était éblouissante mais dans la chambre, à la vue du bébé, ton expression reflétait plusieurs émotions : l’interrogation, l’émerveillement, la joie, la fierté, l’amour... Mon fils, je sais que tu feras un grand frère formidable. Ta mère te murmure tendrement alors que tu contemples le nouveau-né :

- Ulrich, mon chéri, je te présente ton petit frère, Matthew. Matthew Alexander Stern.





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Aujourd’hui
Eglise St Maxime


Bien que terriblement à l’aise, Yumi tenta de se séparer d’Ulrich, mais à chaque centimètre d’écart son emprise se renforçait encore un peu plus.

- Ulrich, je sais qu’on est bien là tous les deux mais il faudrait peut-être songer à y aller, non ? Glissa-t-elle affectueusement à son oreille.

Aucune réponse.

- Ulrich ?

Le silence lui répondit de nouveau. Elle commença à s’inquiéter.

- Ulr…
- J’ai entendu... Mais j’ai pas envie d’y aller maintenant.
- Et quand est-ce que tu en auras envie ? Demanda-t-elle en réussissant de se défaire de son étreinte cette fois-ci.
- Je sais pas. Je m’en fiche. Je suis… Un peu à l’ouest, là.
- En à peine dix secondes de câlin ?

L’entourage reprenait des couleurs, l’herbe verte sous leur pied, la belle robe violette de sa petite-amie, son discret – mais néanmoins sublime – décolleté qu’il avait bien remarqué, ses beaux yeux noirs qui le fixaient : il revenait peu à peu à la réalité.

-Je me suis… Laisser bercer.
- Moi aussi… J’aurais voulu. Mais là on a plus le temps, il faut commencer à rejoindre les autres avant que la cérémonie ne débute.
- Je sais… Je sais.

Elle crut détecter une pointe de déception dans son regard.

- Hé ! Plus tard on aura un peu de temps pour nous beau brun, et là… On sera tranquilles pour faire ce qu’on veut.

Elle lui avait enlacé tendrement le cou tout en prononçant ces mots sans aucune arrière pensée, mais cela ne l’a pas empêché de se sentir légèrement embarrassé. Le rouge lui monta aux joues, il était totalement redevenu lui-même.

- J’espère bien. Dit-il en lui caressant la joue. Je t’aime.
- Moi aussi, je t’aime.

Les actes voulurent illustrer les paroles, mais ils eurent à peine le temps de frôler les lèvres l’autre…


- Mais c’est pas vrai !
- Oh mince ! Déclara Ulrich, grimaçant et entraînant Yumi par la main.
- Euh… C’était quoi ça ?
- Le prélude de l’apocalypse !

Et il n’était pas loin de la vérité. Si cela avait été possible, cette plainte d’une sonorité impressionnante aurait fait trembler le sol sous leurs pieds. Arrivés au niveau de la source de cette envolée de décibels, les deux jeunes pouvaient constater qu’il s’agissait – à en juger par sa tenue (une magnifique robe ivoire soulignée par une fine ceinture en soie de couleur noir et légèrement évasée en bas) - de la future mariée. Beuglant, gesticulant et écumant, Célia faisait «posément » part de son « léger » mécontentement quant aux ultimes préparatifs, dont un notamment.

- Comment se fait-il que le banquet, les compositions florales et la scène viennent à peine d’être impeccablement dressés ?!
- Calme-toi ma puce ! Intervint craintivement sa mère. Ce qui compte c’est que tout soit près, vous allez pouvoir vous marier sans encombre.
- Non Maman, je ne peux pas me calmer ! Je suis entourée d’incapables ! Hurla-t-elle pour que tous les concernés l’entendent. Et le comble, c’est ce foutu orchestre qui n’est pas prêt d’arriver : un pneu crevé ! Non mais je rêve !
- Je suppose que c’est ta fameuse tante caractérielle ? Chuchota Yumi à l’oreille de son petit-ami.
- Comment t’as deviné ? Répondit-il, éminemment ironique.
- Et… Cet orchestre était censé jouer La marche nuptiale je présume ? Se risqua Jeanne.
- Bien sûr ! Ils ont même réussi à obtenir qu’on transporte nous-mêmes leurs instruments ! D’accord ils sont talentueux dans leur domaine, mais de là à avoir des exigences de diva et en plus se permettre d’être en retard !
- Mais je croyais qu’ils avaient un pneu crevé. Glissa Sebastian.
- Peu m’importe ! Pour le prix qu’on les paye, qu’ils fassent avec et qu’ils rappliquent tout de suite !

Bon. Le ton était donné. Yumi comprenait désormais la panique générale des divers organisateurs et les a priori du père d’Ulrich quant à la durée de l’union qui s’apprêtait à être célébrée. Pour que ce mariage dure, deux ou trois solutions étaient possibles : soit le mari était aussi une grande gueule, et ils s’entendraient à merveille ; soit le mari était maso, et il craquait à chaque fois que Madame hausse le ton ; soit, le mari était follement amoureux, et il avait le courage –inconscient- de partager sa vie avec sa tyrannique moitié ! Bref, ce serait du sport dans tous les cas !
Mais encore fallait-il qu’il y est un mariage…

- Mais comment je vais faire ?! Se désespéra la mariée colérique et paniquée.
- Tu avais prévu quels instruments ? Demanda Sebastian.
- Quoi ?
- Quels instruments de musique étaient prévus pour jouer La marche nuptiale ?

Décidément, la colère fait tourner le cerveau au ralenti.

- Principalement un piano et un violon.
- Et tu as les partitions ?
- Surement dans les étuis de ces abrutis. Pourquoi ?
- Parfait ! Allez, viens fiston ! Dit-il en se dirigeant vers l’église.
- Fiston ? Tu parles de moi, là ? Déglutit l’intéressé.
- Ben oui de toi Ulrich, je n’ai pas d’autre fils ici.
- Qu’est-ce que tu as l’intention de faire Seb ? Intervint sa femme.

Il attrapa – ou plutôt happa – son fils par l’épaule et déclara tout fier.

- Et bien c’est simple, Ulrich et moi allons interpréter La marche nuptiale. Lui au piano et moi au violon.
- Quoi ?! S’écria-t-il.
- Je savais que ça te ferais plaisir de faire ça pour ta tante, fiston.
- Mais je…
- Ne sois pas si modeste voyons !
- Papa !...
- C’est parti !

Ils commençaient à s’éloigner en direction de l’église…

- Attends, Sebastian !

C’était Célia.

- Oui ? Interrogea-t-il en se retournant et tenant toujours fermement son fils.
- Tu ferais vraiment ça pour moi ?
- Pour toi, ça je ne sais pas… Mais au moins ce sera une occasion de me divertir pendant la cérémonie. Répondit-il avec un sourire narquois.

A ce moment-là, Yumi crut voir un Ulrich de quarante ans, car il arborait le même sourire que quand il lui lançait son air de défi. Toutefois, celui de quinze n’était pas du tout dans cet état esprit, mais avait arrêté de protester ayant compris qu’il n’aurait jamais voie au chapitre. Sur ce, le père et le fils se dirigèrent vers l’église où les instruments étaient déjà présents.
A l’intérieur de l’édifice religieux, Sebastian s’émerveillait devant la qualité du violon qu’il s’apprêtait à caresser de son archet et de ses doigts.

- C’est un magnifique Stradivarius, comme celui que ta mère m’a offert il y a quelques années pour mon anniversaire. D’ailleurs il est toujours en réparation chez le luthier, il faudrait peut-être que je pense à le récupérer. Disait-il obnubilé par la contemplation de l’objet.
- Papa, pourquoi tu m’as embarqué là dedans ? J’ai pas envie de jouer du piano, moi ! J’aurais préféré rester avec Yumi !
- Moi aussi j’aurais préféré rester auprès de ta mère figure-toi. Mais c’est pour elle que je fais ça.
- Comment ça ?
- Et bien disons que mes petits remarques très déplaisantes sur le mariage de Célia l’ont un peu irritée, même si elle en a l’habitude. Donc je me suis dit qu’en lui rendant ce service, je regagnerai quelques points.
- Ben bravo ! C’est par pur intérêt !
- Oui. Et puis je ne vais pas laisser ta tante comme ça.
- Donc… Tu fais ça pour lui faire plaisir quelque part ?
- Non. Je fais ça pour qu’elle arrête de brailler à tout va. Son mélodrame commençait sérieusement à m’insupporter. Et comme ça je pourrai partager un petit moment avec toi, mon fils.
- Oui tu as raison. Bon d’accord je veux bien te donner un coup de main.
- Merci Ulrich.

Soudain, une sonnerie retentit.

- Oh ! C’est mon portable. Sans doute le boulot. Tâtonne un peu le clavier et lis la partition en attendant.
- Ok.

En même tant sur Lyoko, un halo rouge se dessina autour d’une tour.

Alors que son père quittait les lieux, il s’exécuta, ouvrant le couvercle puis effleurant religieusement les quatre-vingt-huit touches noires et blanches du Blüthner, un remarquable piano à queue de marque allemande. Au-delà de vouloir évaluer le niveau de l’instrument, c’était la simple envie d’entendre ce que le Blüthner avait dans le ventre qui le fit tendre son index vers le clavier. Il effectua la fameuse gamme Do-Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si-Do : le son était magnifique et un frisson d’excitation circula dans tout son corps à l’idée d’interpréter un morceau sur ce petit bijou. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas ressenti cette sensation, lui qui adorait pourtant jouer du piano, bien que ses goûts musicaux soient actuellement tournés vers les Subdigitals.
Ni une ni deux, il s’installa sur le tabouret et posa la partition sur le pupitre. Le Blüthner émettait quelques passages de la fameuse composition de Felix Mendelssohn. L’église offrait un écho idéal pour sublimer ses notes. Ulrich commençait à hocher la tête en rythme avec l’air qu’il jouait en fermant les yeux maîtrisant assez bien la partition qu’il connaissait déjà. Le souvenir d’un quatre mains finissait de le bercer avec la musique et il imagina le violon en accompagnement. Ses pensées n’étaient à présent qu’un flot de notes de musique et de sons harmonieux formant un concert idyllique et c’était tout son être qui s’en imprégna. Puis il se laissa emporter et improvisa un passage à l’instinct. Il avait un très bon doigté : ses professeurs l’avaient remarqué très tôt. Hélas pour eux, le jeune homme n’avait jamais souhaité poursuivre dans le prestigieux Conservatoire. Ses parents ne lui en ont jamais tenu rigueur, et ce même durant leur période de froid avec lui. Etant tous les deux de grands mélomanes, ils considéraient que dans ce domaine sacré –selon eux- une carrière ne tenait pas qu’à prendre des cours avec les plus meilleurs, mais plus à la sauvegarde du plaisir de combiner les sons pour faire s’évader l’auditoire, mais surtout pour s’évader soi-même. Il ne fallait surtout pas forcer les choses. Et Ulrich avait choisi de ne satisfaire aucun public, à part ceux qui par pur hasard tomberait sur lui en train de s’amuser sur un clavier. En ce moment, c’était les yeux fermés qu’il prenait son pied avec un Blüthner dans la maison de Dieu et cela lui convenait parfaitement.
Il arrivait sur les dernières notes du morceau. Sentant que la magie était sur le point de prendre fin, il les savoura intensément, délicatement. Puis le Blüthner cessa. Il leva lentement ses doigts du clavier pour les poser sur ses cuisses, les yeux toujours clos. Quand il les ouvrit, une douce connaissance le dévisagea admirative et émue. Il en fut gêné car il se croyait seul, mais cela lui faisait tout de même plaisir. Elle s’assit à côté de lui.

- Tu es là depuis quand ? Lui demanda-t-il en la regardant dans les yeux.
- Pas depuis le début, mais assez longtemps pour constater à quel point tu es doué. Lui répondit tendrement Yumi.
- C’est gentil… Mais j’ai fait quelques fautes tu sais.
- Et bien je ne les ai pas entendues. Elle approcha son visage du sien. Et je m’en fous un peu d’ailleurs, parce que je t’ai trouvé génial, alors arrête de te chercher des défauts.

Elle caressa sa joue et frôla son nez du sien. Bien qu’une infime partie d’elle culpabilisait de ressentir cela dans un lieu saint, son regard pétillait d’envie tandis que son autre main le saisit par la cravate pour le rapprocher d’elle. Dans la tête du beau brun, le mélange des notes avait fait place à celui de leurs souffles, et il avait le même effet : la même capacité à le faire s’évader.

- Très bien. Comme tu es une admiratrice de grand standing je vais te faire confiance et laisser tomber alors. Dit-il envoûté par les yeux noir qui le dévoraient. Mais si la mariée s’en rend compte… Ça risque de ne pas être la même histoire !

Elle répondit à cette dernière remarque par un petit rire sans le lâcher des yeux. Le noir de son smoking le rendait si distingué, le bordeaux de sa chemise si attirant et le brun de ses yeux toujours aussi doux. Elle ne pouvait résister malgré les circonstances. Il ne chercha pas à se retenir non plus et entama d’assouvir leur profond désir. Quelques secondes plus tard, ils se délivrèrent un délicieux baiser tendre, doux et ardent. Une sensation de bien-être envahit leurs organismes et s’y installa sans vouloir les quitter, grandissant de plus en plus tel un cancer. Comme avec le morceau de tout à l’heure, Ulrich se laissa emporter et intensifiait l’instant, une main dans ses cheveux et l’autre posée derrière elle sur le tabouret pour retenir son corps légèrement penché sur le sien. Ces secondes de douceur en valaient des heures. Après cela, leurs respirations étaient saccadées et leurs fronts toujours très proches. Ulrich prit la parole.

- Ça fait du bien… De ne pas être Lyoko-guerrier pendant un weekend.
- Oui, tu l’as dit. Quoique… Si jamais il y a un couac aujourd’hui, Célia pourrait être bien plus dur à gérer que Xana. Pouffa-t-elle.
- Oui, tu as bien raison. Répliqua-t-il en riant lui aussi. Il voulut l’embrasser encore une fois.
- Non Ulrich, ça suffit.
- Pourquoi ?
- Les autres ne vont pas tarder. Dès que ton père rentrera dans l’église, le marié et sa famille vont débarquer avant d’être suivi par les autres invités. Ne restera plus que la mariée et son père.
- Je vois. Soupira-t-il. J’ai hâte qu’on se retrouve que tous les deux pour pouvoir terminer ce que nous avons commencé. Suggéra-t-il en passant son doigt sur ses lèvres.
- Moi aussi.

A peine acheva-t-elle ses derniers mots que Sebastian fit son entrée. Il se dirigea vers les jeunes gens et leur signala que la cérémonie était sur le point de commencer. Yumi prit place sur un des bancs au fond de l’église en le choisissant de sorte à avoir son petit ami dans son champ de vision pour le voir à l’œuvre. Celui-ci se réinstalla et se concentra correctement devant le piano pendant que son père plaçait sa propre partition sur un pupitre et se saisissait du violon. Puis l’église se remplit dans l’ordre qu’avait indiqué la jeune femme. Stephan et sa famille, son témoin, Lana, le reste des invités, puis enfin Célia dans sa superbe robe et au bras de Max. La marche nuptiale pouvait alors retentir.
Le Blüthner et le Stradivarius résonnaient en parfaite harmonie tandis que la mariée avançait gracieusement et assurément le long de l’allée parsemée de pétales de roses envoyés par des enfants. Les vitraux colorés filtraient magnifiquement une belle lumière vive qui éclairait toute la salle. Des éclats rouges, bleus et dorés dansaient sur les murs. C’était très beau à voir. Tout ceci donnait presque des envies de mariage à la japonaise. Une fois face à son futur mari, son père la quitta pour laisser le prêtre entonner son traditionnel discours. Le piano et le violon se turent. Durant tout le cérémonial, les deux êtres sur le point de finaliser leur union sont restés assez laconiques. Sans doute dans les us et coutumes de la retenue qu’impliquait la religion catholique. Le moment tant attendu arriva enfin.

- Monsieur Stephan Daniel Moreau… acceptez-… vous… de… prendre Madame Célia Blanche Suzanne Deblois comme épouse ? Promettez-… vous de lui rester… fidèle ? De la chérir… de l’aimer… de la respecter… et… de l’honorer… dans la richesse… ou la… pauvreté… dans la santé… comme dans la… maladie… jusqu’à ce que… la mort… vous… sépare ?
- Oui… je le… veux.

Les tons entrecoupés des deux hommes semblaient avoir été notés uniquement par nos deux Lyoko-guerriers. Le trac ? Un verre pris vite fait avant la cérémonie ? Ou la prudence était-elle de mise ?



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Le silence régnait dans la salle. Un silence lourd et pesant. Comme un calme avant la tempête. Le prêtre ne réitérait toujours pas sa question auprès de la mariée. Ulrich espérait tant que sa tante entre en hystérie et lui ordonne de continuer : mais il n’en était rien. Le danger semblait malheureusement bien présent. Le jeune brun toisa l’assemblée, puis son père. Celui-ci tenait toujours le Stradivarius. Ulrich fixa ses mains, puis paniqué, descendit de la scène en courant, attrapa Yumi au passage et lui dit qu’ils devaient foncer vers la sortie. Une fois dehors, ils jetèrent un coup d’œil en arrière et en effet, ils constatèrent qu’ils étaient poursuivis par une bande d’une cinquantaine de xanatifiés environ. Heureusement que seuls la famille et les amis proches avaient été invités. Yumi lui demanda alors :

- Comment pouvais-tu être sûr qu’il s’agissait d’un coup de Xana ?
- Mon père tenait son archet de la main droite !
- Et alors ?
- Il est gaucher !

Parallèlement.

- Odd ! Aelita ! Xana passe à l’attaque !

C’était Jérémie. Ce dernier venait juste d’ouvrir son ordinateur portable quand il scanda cette phrase.

- Oh zut ! Pile au moment où les amoureux se font la malle !
- Ne plaisante pas, Odd ! Ils sont isolés de nous, ce qui fait d’eux des proies faciles pour Xana en ce moment ! S’inquiéta Aelita.
- Elle a raison : on fonce à l’usine et on désactive cette fichue tour !
- On est partis ! Approuva Odd.
- J’appelle Yumi en chemin pour voir s’ils ont des ennuis.

Et elle ne s’imaginait pas à quel point.

- Oui, Aelita ? Décrocha l’interlocutrice haletante.
- Yumi ?! Xana a activé une tour ! Vous allez bien ?
- Oui… Enfin, pour l’instant ! Toute l’assemblée s’est faite xanatifiée et on ne peut pas quitter le domaine de l’église, il est complètement paumé. On va essayer de les semer le temps qu’il faut, mais s’il vous plaît dépêchez-vous de désactiver cette tour !
- On est sur le coup, Yumi. Tenez bon ! Promit-elle déterminée mais tourmentée.

La japonaise mit fin à la conversation et continuait sa course effrénée en tenant la main d’Ulrich. Ils s’enfoncèrent dans le bois environnant la chapelle et prièrent pour que les arbres leur soient salutaires en ralentissant ne serait-ce qu’un peu leurs poursuivants.

- Et merde ! Il a fallu que ça tombe le jour où je mets une robe et des talons. J’ai mal aux pieds !

Son petit ami lança un rapide regard derrière eux : la distance avec la menace lui parut satisfaisante. Il la retint alors vivement dans l’élan de sa course pour la faire s’arrêter et lui fit prendre appui contre un tronc d’arbre.

- Enlève-les, alors. Tu iras plus vite comme ça.
- Oui. De toute façon à défaut d’aller plus vite au moins je n’aurai plus mal ! Grommela-t-elle en s’exécutant.
- Ecoute-moi, Yumi. On ferait mieux de se séparer : comme ça j’attirerai leur attention…
- Non ! C’est hors de question, c’est trop risqué !
- Et toi tu te mets à l’abri ! Insista-t-il.
- Je t’ai dit non, Ulrich! Qu’est-ce que tu feras s’ils t’attrapent ?! On sera plus forts ensemble pour lutter contre eux en cas de pépin !
- Mais Yu…
- Ne fais pas ça, Ulrich. Ce n’est pas le jour pour jouer au mâle dominant !
- Tu crois vraiment que c’est le moment de commenter mon machisme ?!
- Je sais ce que tu essayes de faire et c’est courageux… Stupide mais très courageux… Et je suis sûre que tout ira bien si on reste ensemble. Tenta-t-elle de le rassurer en prenant délicatement son visage entre ses mains.

Il hésita un quart de seconde, cogitant à toute vitesse sur ce qui serait le mieux pour elle.

- Ok, on reste ensemble… Mais ne lâche surtout pas ma main.

Il prit sa main et en baisa tendrement la paume sans la quitter des yeux. Sans un mot, il lui fit comprendre que quelle que soit la tournure des événements, il serait là pour la protéger de toutes ses forces. La même promesse pouvait se lire sur le visage de Yumi. L’ambiance romantique et solennelle se rompu en même temps qu’une branche d’arbre sous le pied d’un de ceux qui les talonnaient. Ils reprirent tout de suite leurs jambes à leur cou, ne sachant quelle direction privilégier, du moment qu’elle les éloignait du danger.

Dans l’usine, Odd et Aelita étaient déjà près à se faire virtualiser. Le clavier de Jérémie n’était pas un Blüthner mais il lui permettait tout de même d’orchestrer les programmes nécessaires à sauver leurs amis.

- Vas-y Einstein, on est prêts !
- Transfert Odd ! Transfert Aelita !

Leurs corps commencèrent à s’élever légèrement.

- Scanner Odd ! Scanner Aelita !

Des particules gravitaient autour d’eux.

- Virtualisation !

Le voyage vers le monde virtuel pouvait alors se faire.
Les pixels formaient peu à peu leurs avatars encore légèrement en suspension. Une fois entiers, ils atterrirent sur le territoire de la forêt.

- Aujourd’hui on se met au vert ! Plaisanta Odd.
- D’après les données satellites que j’ai réussi à obtenir, Xana a refait le coup de la xanatification par téléphone. La tour se trouve au sud. Je t’envoie ton Overboard, Odd. Et te serait-il possible d’arrêter avec tes vannes débiles ?!
- Oui ce serait possible…

Il enfourcha son véhicule.

- Mais j’ai pas envie ! Allez, Aelita on y va, sinon le mariage du pingouin et de sa copine va être gâché ! Dit-il en démarrant son engin.
- Ce n’est pas le leur je te signale ! Répondit-elle en activant ses ailes d’ange virtuel.
- C’est tout comme !

La tour n’était pas encore en vue mais les premiers obstacles, oui. Le menu se composait de quelques Krabes accompagnés de Frôlions. Par des combinaisons de techniques efficaces, ils réussirent à s’en défaire non sans y laisser quelques points de vie. Malheureusement, Xana ne leur laissèrent pas le temps de poursuivre leur chemin vers la tour : cette fois ce sont des Tarentules et des Mégatank qui leur barrèrent la route.

- Et bien ! Xana n’est pas à cours de personnel aujourd’hui. Ironisa Odd en tentant une vaine attaque.
- C’est normal, Odd. Ce n’est pas tous les jours qu’il a la chance de se débarrasser aussi facilement de deux d’entre nous d’un seul coup. Perdus en pleine cambrousse et assaillis par toutes une assemblée de xanatifiés, Ulrich et Yumi vont avoir beaucoup de difficultés ! Ils sont littéralement coincés ! Indiqua Jérémie.

Cette remarque énoncée avec bon sens et panique fit gravir un certain degré de détermination chez Odd et Aelita. Le combat s’annonçait rude mais une défaite n’était en aucun cas envisageable. Pire que cela, une victoire rapide s’imposait dans ce cas, car le temps ne jouait clairement pas en leur faveur. Plusieurs fois ils ont connu des attaques de cette envergure, mais il n’empêchait que malgré l’expérience, la peur de perdre l’un d’entre eux leur serrait le cœur. La moindre seconde de perdue était une seconde durant laquelle Yumi ou Ulrich risquait d’y rester. Ils s’évertuèrent donc à ne pas en perdre une seule et se firent aussi efficaces que redoutables malgré leur écrasante infériorité numérique. Néanmoins, l’arsenal de Xana ne cessait de se renouveler encore et encore. Chaque avancée leur imposait aussitôt un retrait. C’était une véritable guerre de tranchée. Les attaques étaient autant terrestres qu’aériennes. La vigilance et la stratégie devaient suppléer à la vigueur de leurs attaques, car si l’un d’eux finissait dévirtualisé, et en particulier Aelita, tout serait fini.

- Bon réfléchissons, Odd. Raisonna la jeune fille. Quels sont les plus grands atouts dont nous disposons pour tenter un passage en force ?
- Mon Overboard, que j’ai réussi à garder par je ne sais quel miracle.
- Oui, mais avec tout ces Frôlions une tentative aériennes risque d’échouer en seulement quelques secondes.
- Je sais, mais au sol il y a un vrai rempart de monstres qui nous attend. Il n’y a pas d’issue !
- Et mince !

L’impatience, la rage et l’inquiétude s’emparèrent d’elle. La bataille semblait stérile. Même s’ils n’avaient aucun mal à éliminer la plupart de leurs ennemis, leur grand nombre compliquait grandement la tâche. Les monstres accomplissaient parfaitement leur rôle : ils gagnaient du temps et au passage dégradaient petit à petit leurs points de vie.

- Aelita, il ne te reste plus beaucoup de points de vie : ça signifie que tu ne pourras pas utiliser ton pouvoir de création pour créer un leurre. Informa Jérémie.
- Merci de nous indiquer les options inexploitables, Einstein ! Mais pourrais-tu chercher une solution pour nous dépêtrer de tout ça, si ce n’est pas trop te demander ?! S’écria Odd, lui aussi gagné par la frustration.
- J’y travaille ! Je vais tenter d’entraver le programme de matérialisation des monstres qu’utilise Xana : comme ça s’ils sont moins vous aurez plus de chance de passer ! Rétorqua Jérémie qui tentait de garder les idées claires dans ce chaos innommable.
- Et combien de temps cela peut-il prendre ? Demanda Aelita.
- Et bien… Il s’agit d’un algorithme complexe lui-même protégé par d’autres algorithmes très complexes. Alors…

Il s’interrompit, accablé par son impuissance. Odd insista tout de même.

- Alors ? Demanda le félin virtuel inquiété par le silence de son ami.
- Ça va me prendre du temps… Pas mal de temps. Un temps que n’auront peut-être pas Ulrich et Yumi… Lâcha-t-il dans un triste soupir.

Les deux virtualisés se regardèrent autant abattus l’un que l’autre. La situation paraissait désespérée. Xana avait mis le paquet. Un très gros paquet même. Le son des lasers lancés par les monstres résonnaient inlassablement. Des assauts infinis contrairement à leurs points de vie… Tenter le tout pour le tout serait aussi stupide qu’inutile. Que fallait-il faire ? Soudain, un sentiment de rébellion face à ce contexte peut engageant s’éveilla en Aelita : le temps n’était pas à réflexion, mes aux actes !

- Bon tant pis c’est la meilleure alternative que nous ayons pour l’instant ! Jérémie, travaille sur ces algorithmes ! Odd et moi allons continuer le combat aussi prudemment que possible en guettant la moindre opportunité de pouvoir percer les défenses de Xana !

Continuer le combat était une vraie folie, mais que pouvaient-ils bien faire d’autre ?!

- Ok Aelita, faisons comme ça ! Je vais faire aussi vite que je peux. Vous, faites bien attention !... Et prions pour qu’Ulrich et Yumi s’en sortent…

Songeurs et inquiets, ils n’ajoutèrent aucun mot. Puis Odd ayant retrouvé un regain d’énergie et de détermination ajouta finalement :

- Ils s’en sortiront ! Et nous aussi ! Pas le choix !

Et c’est fort de leur courage et de leur hargne habituels que chacun se relança dans la bataille que ce soit par un clavier ou par les armes.



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Du côté des amoureux, la situation n’était guère plus optimiste : les xanatifiés gagnaient du terrain et le fatigue commençait à se faire sentir chez le couple. Le stage commando que le groupe avait suivi sous les ordres de Jim quelques temps auparavant leur avait donné la résolution d’améliorer leur condition physique, et notamment leur endurance au cas où. Cela se voyait à travers leur honorable performance, mais les choses étaient tout de même très difficiles. L’adrénaline atténuait la douleur dont souffrait la jeune japonaise au niveau de ses pieds nus mais l’épuisement commençait aussi à avoir raison d’eux. Sentant la cadence diminuer, Ulrich lança un bref regard inquiet vers sa petite amie.

- Allez Yumi, tiens bon ! Tu t’en sors très bien !
- Arrête de raconter n’importe quoi, Ulrich ! Je ne m’en sors pas bien du tout et je sais qu’ils sont en train de nous rattraper ! Rugit-elle exténuée et frustrée par son état.
- Ne dis pas ça. Il faut continuer !
- Et pour aller où, dis-moi ?! Ça va faire je ne sais combien de temps qu’on court comme des dératés à l’aveuglette ! On ne sait pas où aller ni encore combien de temps on va devoir tenir ! Et je n’en peux presque plus. Autant que tu me laisses ici !
- Cette fois c’est toi qui va arrêter de dire n’importe quoi ! Fit-il sur le même ton qu’elle venait d’employer. Je t’interdis de redire ça ou même d’y repenser, tu m’entends ?!

La fatigue, la frustration, la colère et l’adrénaline faisaient trembler chaque membre de son corps. Malgré leur course frénétique, Yumi le sentit nettement au niveau de sa main dont la pression n’avait pas baissé d’un iota. Lui aussi était épuisé et ne demandait pas mieux que de pouvoir s’arrêter pour reprendre son souffle, voire même pour constater la fin de ce cauchemar. Mais malheureusement, tant que la tour ne serait pas désactivée la poursuite ne cesserait jamais. Son regard était rivé sur leur route à la fois pour trouver un chemin, mais aussi pour ne pas se laisser distraire par leurs poursuivants qui n’arrêtaient pas de raccourcir la distance qui les séparait d’eux. Le moindre faux pas pourrait leur être fatal. Il ordonnait mentalement à tout son être de tenir le coup au moins jusqu’à ce que Yumi soit en sécurité. Il s’ordonnait mentalement de ne pas faiblir, de ne pas craquer pour que sa belle japonaise ne cède pas non plus. Il s’infligeait cet effort à la fois physique et psychique pour la personne qui lui était la plus chère au monde, et cette seule idée suffisait à le maintenir debout et concentré. Yumi en pris pleinement conscience quand elle sentit ses doigts se resserrer sur sa main. C’était douloureux et tendre en même temps.

- Je suis désolée, Ulrich. Finit-elle par dire, honteuse de son pessimisme passager.
- Moi… Moi aussi je suis désolé, Yumi. Je… Je ne voulais pas te crier dessus. Répondit-il conscient de son excès de frustration et regardant toujours devant lui.
- Moi non plus…
- Ecoute… Je te promets qu’on va s’en sortir. Mais pour ça il faut qu’on tienne bon tous les deux. D’accord ?
- Oui… Tu as raison.

Ils n’avaient pas cessé de courir pendant cette brève conversation. Devant son héroïque preuve d’amour, Yumi retrouva un peu d’aplomb et fit abstention de la douleur et de toutes ses pensées négatives pour accélérer le pas. Sentant la cadence augmenter cette fois-ci, Ulrich redoubla encore ses efforts déjà colossaux, certain que ses amis finiront tôt ou tard par désactiver la tour pour les sauver.
L’avancée des xanatifiés était incontestablement fulgurante, mais ils tiendraient bon tous les deux.
Plusieurs minutes plus tard, ce qui devait arriver arriva : la panique et l’acharnement qui circulaient dans leurs corps finirent par mener leurs cœurs au bord de l’explosion. Leur détermination n’avait pas disparu mais ils ne pouvaient tout simplement plus « pousser la machine », comme on dit. Leurs jambes les abandonnèrent quasiment en même temps, leurs souffles étaient très courts, presque inexistants. Quelques secondes plus tard, leurs muscles lâchèrent subitement et ils se retrouvèrent tous les deux allongés l’un à côté de l’autre, les doigts toujours entremêlés, ventilant à une fréquence affolante et cherchant ne serait-ce qu’un peu d’air… Rien qu’un peu d’air… Par pitié…
Ils savaient bien que cet instant ne devait pas durer, qu’il signerait peut-être même leur arrêt de mort. Mais la mort, c’était exactement ce qu’ils avaient l’impression d’expérimenter à ce moment précis. C’était comme se noyer, sans l’espoir de pouvoir remonter à la surface, comme attaché à une ancre qui vous mène dans des profondeurs abyssales, froides et sombres, sans l’espoir d’une bouée de sauvetage à l’horizon. Sans souffle… Sans vie… C’était horrible.
Au cours de leurs entraînements sportifs, il leur était déjà arrivé de repousser leurs limites et de les surpasser. Ils avaient déjà été à bout de souffle, mais dans un agréable moment complice, où ils arrivaient à en rire malgré tout. A ce moment-là, ni la situation ni leur état ne prêtait à sourire. Plus rien n’existait autour d’eux, à part leurs deux corps essayant de capter la moindre bouffée d’oxygène disponible. Ils tentaient péniblement de se calmer, progressivement. Le temps qu’il leur fallut pour que leurs muscles se détendent complètement et que leur respiration redevienne à peu prêt normale semblait interminable. Mais enfin, ils réussirent. Les yeux clos, les mains jointes, l’air circulait à nouveau dans leurs corps endoloris.

- Ça va, Yumi ?
- Oui. Et toi ?
- Mieux maintenant.

Un autre effort surhumain lui fut nécessaire pour se remettre sur ses deux jambes. Surprises par la pénibilité de cet acte, elles faillirent se dérober sous le beau brun, qui ne savait par quel prodige il avait réussi à tenir debout. Il aida ensuite Yumi à faire de même. Elle rencontra les mêmes difficultés que lui à retrouver son équilibre, mais l’appui que lui offrait son torse allégea sa peine. Elle s’y blottit brusquement ressentant le besoin de sa chaleur et de son odeur. Pour tenir encore. Il le comprit bien vite, car il en était de même pour lui. Il caressa lentement ses cheveux avec une douceur sans pareil en les embrassant suavement comme il aimait tant le faire.

- On va y arriver, hein ? Finit-elle par lui demander avec une détermination bien présente mais entamée par la fatigue.
- Oui. Ça va aller. Lui confirma-t-il sans aucune hésitation.

Malgré la chaleur qui les entourait, ils n’oubliaient pas l’assemblée qui était à leurs trousses et s’étonnèrent même de ne pas encore avoir été acculés par elle. Ils se détachèrent.

- Tu crois qu’on les a semés ? Demanda Ulrich avec un demi-espoir.
- Je ne sais pas. Ça me semble difficile à croire.
- A moi aussi.

Puis ils posèrent tous les deux le regard sur ce qui les environnait. Et quel fut leur surprise quand ils reconnurent…

- Mais c’est l’église ! Et la tente du banquet ! S’écria Yumi.
- On a tourné en rond ! Fit Ulrich.
- C’est incroyable !... Profitons de cet instant de calme pour…
- Établir une stratégie. Compléta-t-il.
- Oui. Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ? S’interrogea-t-elle songeuse.
- Là, dans l’immédiat, je ne vois pas. Ils sont tellement nombreux.
- L’idéal serait de les piéger tous en même temps.
- C’est sûr que ce serait l’idéal… Mais ils sont une bonne cinquantaine ! A moins d’être à la pêche et de disposer d’un filet anti-xanatifiés, je ne vois pas comment on pourrait s’y prendre. Ironisa-t-il.

Yumi ne perdit pas une miette de ce qu’il venait de dire. Son regard balaya de nouveau son entourage, puis en un éclair elle eut une illumination.

- Ça y est j’ai trouvé ! T’ai-je déjà dit à quel point tu es génial ? Révéla-t-elle les yeux fixés sur ce qui semblait être la solution à leurs problèmes.
- Oui, souvent. Mais qu’as-tu trouvé ? Fit le jeune homme perplexe.
- Un filet.

Il tourna la tête dans la même direction qu’elle et la révélation le frappa aussi quasi-instantanément. Comment n’y avaient-ils pas pensé plus tôt ?!

- T’ai-je déjà dit à quel point tu es géniale ? Reprit-il avec humour et sincérité.
- Oui, mais pas assez souvent à mon goût. Répondit-elle sur un ton blagueur.
- Quand tout sera terminé, je me rattraperai… Ma tante va nous tuer.
- Ulrich… Ta tante est possédée par Xana… Elle veut déjà nous tuer !
- … Pas faux.

Après s’être lancé un regard entendu, ils allèrent mettre leur plan en place.


- Odd ! Attention derrière toi !

Il se retourna et dans le même mouvement, décocha une flèche laser en plein dans le cœur de la cible du Block qui avait tenté de le surprendre.

- Merci Aelita !

Les monstres arrivaient toujours en grand effectif sur eux tandis que le nombre de leurs points de vie continuait de descendre.

- Jérémie ? Où en es-tu avec ces programmes ? Lui demanda Odd.
- J’ai réussi à passer un algorithme de protection. L’attaque de Xana ne consistait pas seulement à contrôler l’assemblée au mariage, mais aussi à s’infliger intentionnellement un bug à lui-même.
- Quoi ?! Pourquoi… Quel est l’intérêt ?
- Je n’en suis pas encore certain, mais je pense qu’il a fait ça pour faire bugger aléatoirement son programme de virtualisation des monstres.
- C’est le même principe que pour une mutation génétique ! Réalisa Aelita. C’est brillant.
- Exact. Une mutation génétique peut entraîner la surexpression d’un gène et ainsi augmenter considérablement la production de la substance dont il est responsable. Xana a appliqué ce principe à son programme : il y a induit un bug, modifiant ainsi la totalité de l’algorithme et de son fonctionnement. Il l’a « surexprimé », d’où la quantité astronomique de monstres. Et comme cette « mutation » serait aléatoire, d’une part elle sera très dure à repérer dans l’immensité de l’algorithme, et d’autre part elle nécessiterait une correction adaptée et très complexe.

- Et tu penses pouvoir y arriver ? S’inquiéta la jeune fille aux cheveux rose.
- Je ne sais pas… Je l’espère.
- Il faut que tu y arrives Jérémie !
- Oui je le sais… Ne vous en faites pas, je m’en occupe !

Ses amis savaient qu’ils pouvaient lui faire confiance. Durant tout le temps qu’ils le connaissaient, ils ne l’avaient jamais vu abandonner. Le programme de matérialisation qu’il avait réalisé pour Aelita en était une preuve indiscutable. Alors il ne céderait certainement pas devant deux-trois algorithmes récalcitrants ! Bien que Xana ait ficelé un plan diaboliquement ingénieux, les trois amis luttaient toujours sans faiblir. Tiens ! Encore une preuve de la persévérance d’Einstein : le deuxième algorithme de protection venait de « sauter ». Plus qu’un avant de s’attaquer à l’épineux problème de « génétique numérique ».


- C’est bon, Ulrich ? Tu en as trouvé un toi aussi ?
- Oui.

Il lui présenta le couteau à la lame acérée qu’il venait de ramasser sur la table.

- Parfait. On peut commencer.

Par petits coups et chacun de leur côté, ils tranchèrent partiellement les cordes qui maintenaient la tente initialement prévue pour le banquet en extérieur. Comme elles étaient très tendues, il leur était facile d’évaluer si la coupe était trop appuyée ou pas assez. Une fois satisfaits de leur manœuvre, ils se retrouvèrent au centre, à proximité de la table longue de plusieurs mètres.

- Maintenant il n’y a plus qu’à attendre. Déclara Ulrich. Tu crois que ça va marcher ?
- Je pense. Répondit-elle avec toute l’assurance dont elle était capable. Et puis je te signale que c’était ton idée, monsieur le pêcheur. Fit-elle avec un petit clin d’œil pour les détendre un peu.
- Je n’appellerais pas ça une idée à proprement parler, mais bon…
- Ça marchera, j’en suis sûre !

Le sourire apaisant qu’elle lui adressa le fit rougir. Il n’avait qu’une envie : la prendre dans ses bras pour l’embrasser fougueusement. Mais ils ne pouvaient se permettre d’être distraits : leur plan reposait sur un timing précis et une rapidité bien plus grande que celle qu’ils avaient déployée jusqu’à présent. Leurs yeux scrutaient les bois avec autant de vigilance que possible. Ceux d’un lynx auraient sûrement été plus efficaces, mais avec la pression qui les oppressait, les leurs ne devaient pas en être très loin. Soudain, un bruit sourd interrompit le silence pesant. C’était proche… Très proche.




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- Oh mince !
- Tu crois vraiment que c’est le moment d’avoir le ventre qui gargouille, Ulrich ?! Réprimanda la japonaise exaspérée.
- Qu’est-ce que j’y peux, moi ?! Ça doit vouloir dire qu’il n’est pas loin de midi.
- Bon. Et bien puisque nous somme sous la tente du buffet… Je pense qu’on peut en profiter un peu en restant sur nos gardes… Et puis ça nous permettra de récupérer un peu des forces que nous avons perdues durant la course…
- … D’accord… Désolé…

Elle le fit taire en lui fourrant un toast au saumon dans la bouche. Elle se servit à son tour dans les canapés au foie gras, et ils continuèrent ainsi de suite avec d’autres amuse-bouches... S’ils n’avaient pas étaient en proie à un danger imminent, ils auraient tout englouti tant les mets étaient délicieux. Mais un autre bruit se fit entendre, et ce n’était pas le ventre du beau brun cette fois-ci. Cela ressemblait plus à un bruissement de feuille d’arbre.

- Attention, prépare-toi ! L’avertit Ulrich en position de combat.

Son ordre fut inutile, car la japonaise était déjà prête, elle aussi dans la même posture. Malgré sa magnifique robe, la fente dont elle disposait sur le côté gauche lui permettait de se mouvoir avec beaucoup d’amplitude et de confort. Certes ces pieds nus pourraient lui conférer un lourd désavantage, mais leur peau tannée par les entraînements d’arts martiaux devrait compenser ce handicap. Un autre son confus se fit entendre, puis la horde de xanatifiés leur apparut. Ils se précipitaient sur eux au pas de course, rassemblés comme un seul homme. Les deux adolescents songèrent que le temps assez long qu’ils avaient mis à les retrouver devait s’expliquer par la perte momentanée de leur trace. Cela était loin d’être impossible, vu les rideaux d’arbres qui constituaient la forêt. Ils avaient beau voir une impressionnante amélioration de leurs capacités physiques, les humains possédés par Xana ne pouvaient pas voir à travers la matière… Du moins, pas encore - connaissant la recherche de perfection de leur ennemi -.
Une fois les possédés arrivés à quelques mètres de leur position, le combat débuta. Ulrich démarra les hostilités en contenant efficacement les premiers ennemis. Il mettait beaucoup de force dans ces coups pour se mettre aussitôt en condition de dominant face à eux. Ses esquives lui permettaient d’éviter plusieurs attaques, mais une lui parvint sur le bras droit, y faisant ainsi naître une vive douleur qu’il s’efforça d’oublier aussitôt. Tout allait très vite. Il fut rapidement encerclé, pris au piège entre des hommes et des femmes dont il était incapable de visualiser les visages. Son cerveau n’arrivait plus à former d’images nettes de se qui l’entourait. Il ne lui donnait qu’un ordre unique et impérieux : « Bats-toi et défends ta vie, ainsi que celle de Yumi !! ». Attentif et brouillon à la fois, son corps réagissait sans vraiment lui obéir. L’instinct de survie était son seul moteur. Il n’hésitait donc pas à menacer ses opposants de sa lame, qu’il avait gardée en main, sans chercher à les blesser. Ses gens n’étaient plus maîtres d’eux-mêmes après tout. Sa lutte était admirable, mais il fut très vite débordé par d’autres arrivants et les adversaires légèrement sonnés qui revenaient à la charge.
C’est alors que son amie vint lui prêter main forte. D’un puissant coup de pied latéral, elle écarta ceux qui s’apprêtaient à fondre sur lui par derrière. Elle réussit à les attirer à, à peine, plus d’un mètre d’Ulrich pour lui laisser plus d’espace et rééquilibrer un tant soit peu l’affrontement.
Bien sûr, quand deux jeunes adolescents se devaient de tenir tête à cinquante êtres à la force presque surhumaine, la notion d’ « équilibre » était éminemment relative !
Le reste du groupe ayant remarqué sa tactique contourna Ulrich pour s’en prendre à elle. Elle connut la même anarchie que lui dans la perception de ses antagonistes : la confusion était totale, et les coups fusaient dans tous les sens, tout le monde tapait sur tout le monde. Elle se déplaçait habilement, échappant comme elle le pouvait à leur acharnement. Malheureusement, leur rapidité était de loin supérieure à la sienne, et elle ne tarda pas à être atteinte. La douleur n’écornait en rien sa combativité, et elle redoubla de ténacité et de rage pour le prouver. En fait, ce qui paraissait être leur plus gros et plus évident désavantage, à savoir l’infériorité numérique, semblait aussi leur conférer une certaine sécurité : commandés uniquement par le besoin primaire d’infliger la souffrance et la mort de leurs mains aux Lyoko-guerriers, les xanatifiés ne suivaient aucune stratégie précise. De ce fait, les assauts lancés simultanément par dix à trente personnes en même temps n’engendraient qu’un imbroglio perturbant. Il en résultait donc plus d’échecs que de réussites, et les capacités d’esquive de leurs cibles accentuaient le phénomène. Une fois de plus, Yumi et Ulrich devaient compter sur leur endurance pour leur résister. La différence avec la frénésie de la course de tout à l’heure était qu’un compartiment étanche de leur conscience conservait un but – autre que celui de survivre - : accomplir le plan qu’ils avaient établi. Pris dans la mêlée, ils jetaient des coups d’œil rapide sur leur brumeux environnement. Ils rétrécirent la distance entre eux sans arrêter de se battre. Un dernier balayage oculaire : tous les xanatifiés semblaient être réunis sous l’immense tente. Le moment était venu.

- Maintenant Ulrich !

Une seconde plus tard, ils plongèrent sous l’immense table, puis rampèrent, dans l’herbe, chacun jusqu’à une extrémité préalablement attribuée : côté église pour Ulrich et Yumi à l’opposé. Comme ils l’avaient prévu, le bouclier de fortune qu’était la table ne tint pas longtemps le coup face à la violence et à l’impatience des xanatifiés : dans un effort commun, ils la renversèrent pour les dévoiler complètement et les mettre à leur merci. Vulnérables et à découvert, Ulrich et Yumi eurent presque en même temps le réflexe de se relever pour finir leur parcours à pied et à tout allure. Heureusement, ils avaient déjà couvert les trois quart de la distance qui les séparait des cordes prédécoupées. Ils durent zigzaguer dans les derniers mètres pour éviter de se faire agripper par l’un d’entre eux. Quasiment arrivée au niveau des câbles, Yumi fit une dernière accélération pour les atteindre et…

- Aaaaaaaah !

Son cri fit fortement vibrer l’air tant sa sonorité fut impressionnante. Un xanatifié – ou plutôt, une xanatifiée – l’avait rudement saisi par les cheveux. Sa souffrance était intense à mesure que cette dernière tirait dessus. La traction des cheveux dont la racine est plantée dans la peau du cou impose une douleur intolérable à la personne qui la subit. De fait, Yumi ne la toléra pas et dans un même mouvement brusque et rapide, elle fit volte-face et brandit instinctivement son couteau face à son opposante, lui causant une légère éraflure sur la joue qui suffit à lui faire lâcher prise. Elle eut à peine le temps de constater qu’un filet de sang s’écoulait sur la robe ivoire de son agresseur, avant de se retourner vers son objectif. Sa mésaventure n’avait durée que sept secondes. En parallèle, Ulrich, alerté par son hurlement, avait inconsciemment projeté son regard dans son dos. Quand il avait compris que Yumi était en mauvaise posture, l’inquiétude qu’il avait éprouvée l’avait momentanément paralysé. Les ennemis qui l’entouraient avaient profité de sa stupeur pour l’attaquer. Heureusement pour lui, son corps toujours débordant d’adrénaline les repoussa d’un coup de pied facial sans qu’il ait eu à y réfléchir. Rassuré par l’état de Yumi après un bref regard, il s’était aussi remis en route vers ses propres cordes. Excédés, tous les xanatifés firent jaillir une décharge électrique de leurs mains. Le couple était à sa position respective… La synchronisation était parfaite.

- Maintenant !!

Dans une célérité dépassant l’entendement, ils coupèrent en même temps les quatre cordes suspendant la tente à l’envergure suffisamment grande pour piéger tous les possédés. Une fois pris dans les mailles du « filet », chaque membre de l’assemblée propulsa sa boule électrique dans une direction aléatoire avec l’espoir cruel d’atteindre l’une de leurs cibles. Cela n’arriva jamais. La résultante des énergies de leurs attaques avait était capturée par la tente faite dans un plastique très résistant. Ulrich et Yumi en étaient assez éloignés pour ne subir aucun dégât… Contrairement à chacun d’entre eux. Cinquante cris terribles en formèrent un seul effroyable avant qu’un long silence ne lui succède. Les amoureux contournèrent le gigantesque piège pour se rejoindre. Après s’être vus, leur premier réflexe fut d’observer attentivement la tente pour évaluer la situation. Le constat semblait clair : tous les xanatifiés étaient hors d’état de nuire, complètement sonnés par la décharge d’électricité qu’ils s’étaient eux-mêmes infligés. Ça paraissait tellement réel. Ils avaient réussi. Ils étaient hors de danger !
Ils n’en revenaient pas mais c’était bien la réalité qui semblait s’imposer à eux. Une fois cette information intégrée, leur second réflexe fut de se prendre dans les bras l’un de l’autre, et de rire à gorge déployée. Heureux. Heureux d’être en vie. Heureux que l’autre soit en vie.

- Ça y est c’est fini ! On a réussi, Yumi !
- Oui !

Ils étaient tous deux en sueur et haletaient, encore épuisés par cet ultime effort intense et douloureux et l’état de leurs vêtements était lamentable. Mais ils allaient enfin pourvoir lâcher prise. Leurs ennemis ne pourraient plus leur faire de mal.
Les autres n’auraient plus qu’à désactiver la tour et tout serait fini !
Dans leur euphorie enivrante, ils s’échangèrent un délicieux baiser langoureux et passionné, au milieu du bazar occasionné par le renversement de la table du banquet. La nourriture, des bouteilles de champagnes et de la vaisselle cassée gisaient sur le sol, mais cela n’avait aucune importance. Depuis qu’ils sortaient ensemble, Xana n’avait jamais était aussi proche de les séparer définitivement l’un de l’autre. Ils s’en rendirent comptent en ce moment et approfondirent encore leur baiser autant que cela leur était possible. Les caresses réciproques et sensuelles que se livraient leurs mains tendaient plus à palper une réalité en laquelle ils avaient encore du mal à croire que de satisfaire un quelconque besoin primaire. Toutes ces sensations renforçaient l’ardeur de leur échange et de leur amour. Avoir frôlé une mort certaine faisait de ce baiser le plus vivant qu’ils ne se soient jamais offert. Après plusieurs secondes d’éternité, ils commencèrent à se séparer pour reprendre leur souffle, pour pouvoir reprendre de plus belle. Avant, Yumi voulut abîmer son regard dans celui d’Ulrich pour en savourer l’éclat qui y luisait. Elle vit un marron profond et doux. Tellement doux. Puis étrangement, sa rétine fut cognée par d’autres couleurs : de l’ivoire et du rouge… Une robe de mariée où figurait un fin sillon de sang vertical…

- Ulrich ! Attent…

Voyant ses yeux noirs s’écarquiller de panique, il avait déjà entamé de l’entraîner dans un mouvement latéral pour esquiver l’agression qui se préparait derrière lui. Il fit volte-face et constata comme Yumi que Célia avait réchappé du chaos de la tente.
Comment cela avait-il bien pu se produire ? Tout cela n’était-il pas sensé être terminé ?

- Recule Yumi ! Je vais m’en occuper.

Elle n’eut pas le temps de protester, qu’il s’était déjà érigé en rempart entre elle et sa tante. Malheureusement, cette dernière, apparemment très hargneuse, le prit par surprise et le projeta à quelques mètres derrière elle accédant ainsi à la japonaise.

- A cause de toi, ma robe est fichue !!

Même s’ils le savaient déjà, ils ne purent s’empêcher de trouver à quel point il était surprenant que malgré la xanatification les possédés conservaient une part de leur personnalité.

- A cause de vous deux, ma réception est foutue !!

Voulant profiter de son emportement, Ulrich se rapprocha lentement d’elle, dans son dos, mais une force le retint, et il fut projeter encore plus loin. Il se remit immédiatement sur ses deux pieds et vit que Célia n’était pas la seule rescapée : son père et Lana se tenaient devant lui. Leurs regards étaient furieux et plein d’envies meurtrières.

- Nous allons te donner une bonne leçon, Ulrich. Le menacèrent-ils d’une même voix chargée de sons parasites, comme une télé mal réglée.

Face à la situation délicate dans laquelle se trouvait Ulrich et persuadée que Célia lui poserait de sérieux problèmes, Yumi préféra fuir vers la forêt pour amener la mariée à la suivre, loin de lui. Et en effet, Célia la poursuivit. La japonaise se disait qu’au cas où celle-ci arriverait à la neutraliser, au moins Ulrich bénéficierait d’un sursis avant qu’elle ne s’en prenne à lui et qu’il ne se retrouve en position de trois contre un. Il le comprit aussitôt, mais fut tout de même frustrer d’être éloigné d’elle sans la garanti de pouvoir la rejoindre ensuite, ou inversement. Ses pupilles marron étaient agitées par l’anxiété qui le prenait en otage, mais une voix féminine le rappela à l’ordre.

- Oublie-la, Ulrich ! Tes adversaires, c’est nous ! Lui lança Lana.

La musique que Yumi avait perçue dans sa voix il y a quelques heures avait totalement disparu. Son timbre était froid et dur, dépourvu de toute chaleur. Dans des circonstances normales – où elle n’était pas xanatifiée -, son cousin lui aurait répondu par une réplique cinglante, mais il garda un silence solennel et se mit immédiatement en position de combat. Son corps meurtri par tous les efforts qu’il avait fourni jusqu’à présent aurait sûrement du mal à tenir pour espérer une victoire ou même une vague distraction, mais il était résolu.

Je dois survivre pour les empêcher de retrouver Yumi et gagner du temps jusqu’à ce que la tour soit désactivée.