Un Retour vers le Passé... Vraiment préhistorique ! ! !
1.
Jérémie se réveilla en sursaut, fixant d’un œil hagard l’écran éteint de son ordinateur...
Il avait encore, imprimée sur la joue droite, la moitié de son clavier ! Il tâtonna autour de lui, à la recherche de ses « quat’z-yeux », la respectable paire de lunettes aux verres épais qui lui permettaient d’aller un peu au-delà de l’épaisse brume de la grande myopie qui lui empoisonnait la vie et faisait de lui un génie mais une croûte en gymnastique !
On lui avait dit que dans quelques années, à la fin de sa croissance, on pourrait l’opérer pour lui permettre enfin de voir le monde à l’œil nu, mais en attendant, ça n’était pas encore tout à fait ça ! Il était aussi miro que semblait l’avoir été Franz Hopper qui arborait lui aussi de vrais phares de Volkswagen sur le nez ! Et si ça n’avait été que cette vue de taupe ? Mais comme tous les grands myopes, il devait faire surveiller ses rétines comme le lait sur le feu, et tous les six mois, on lui examinait scrupuleusement le fond de l’œil... Il avait déjà subi du laser plusieurs fois, pour éviter à ses rétines de se décoller indûment. En effet, comme tous les grands myopes, il pouvait devenir très facilement aveugle. C’était son angoisse, sa terreur secrète, et il n’avait jamais voulu ennuyer ses camarades de classe avec ça, et encore moins les Lyokô-Guerriers. Cette peur de la cécité faisait de lui un grand insomniaque, et il noyait ses angoisses dans sa soif terrible de connaissances, ce besoin de toujours expliquer l’inexplicable grâce aux maths, à la physique, la chimie et l’informatique... Les formules complexes, l’élaboration de théories fumeuses lui permettaient de gérer son stress, et sa formidable ntelligence était toujours en éveil.
Là, cette nuit, pour passer le temps, surtout depuis que Xana était hors combat, il avait décidé de se pencher sur la Théorie du Tout, celle du Chaos, et leurs liens avec la Mécanique Quantique, les fractales et la Théorie de la Relativité ! Il avait même songé à rallumer le Supercalculateur pour modifier le programme Carthage qui le gérait et en faire un super ordinateur comme ceux qu’on utilisait dans les grandes universités pour des calculs sophistiqués et généralement bien moins dangereux que Carthage ou Xana ! Évidemment, ça aurait effacé Lyokô, mais c’était secondaire, ils n’avaient plus rien à y faire, ses amis et lui !
On frappa à la porte. À l’odeur putride qui envahit soudain la chambre, dès qu’il eut crié d’entrer, Jérémie sut que c’était l’inénarrable Odd, qui avait ainsi pénétré dans son domaine, Odd à la coiffure improbable, et à l’esprit encore plus caustique que la soude, mais au problème de sudation des pieds particulièrement immonde. À se demander comment Kiwi, son chien clandestin de race indéterminée et assez extraterrestre, n’en mourait pas, de respirer une puanteur aussi infecte !
«- Ben, Jérem, dépêche-toi ! Les autres sont déjà en bas, pour le petit-déjeuner ! En plus, il neige et il fait un froid terrible, et j’ai fait un rêve idiot dont je voudrais vous parler à tous ! expliqua le jeune Milanais de sa voix flûtée, faisant de grands gestes.
- Quoi ? Tu as rêvé de mammouths et de préhistoriques ? ricana Jérémie.
- Ben... Comment t’as deviné ? demanda le grêle adolescent blond à la mèche violette, dépité et même effrayé !
- Ben... J’ai rêvé de ça moi aussi ! ! ! avoua Jérémie mal à l’aise.
- Oh ! Un coup à la Xana, tu crois ? fit Odd, fasciné, regardant dans les yeux son ami à la fulgurante intelligence.
- Ben non, moi, je rêvais d’une théorie du Tout, cette nuit... tenta Jérémie.
- Ouais, une théorie du Tout va être terminé, il ne va rien rester à manger si on ne se dépêche pas ! ! ! Rosa va encore me traiter de « maigrichon » ! bouda Odd.
- C’est vrai que, quand on voit ton gabarit, qui est très loin de celui d’Arnold Schwarzenegger, comme moi, d’ailleurs, on se demande où tu mets tout ce que tu ingurgites ! À ce rythme, tu vas avoir du diabète ! dit Jérémie, sérieux comme un pape.
- Mais non ! On est tous comme ça, chez moi ! Des sveltes hyperactifs, c’est tout ! Toi, par contre, tu ne manges pas assez ! Il faut nourrir ta grosse cervelle si tu veux devenir un grand savant ! plaisanta Odd.
- Mes besoins énergétiques sont moindres que les tiens... Je dois mieux gérer mon métabolisme que toi... commença Jérémie.
- Oui, c’est ça, on lui dira ! Allez, magne-toi ! j’ai faim, moi ! ! ! déclara Odd, s’engouffrant dans les escaliers comme si une armée de Kankrelats le poursuivait !
- J’arrive ! ! !».
Jérémie, amusé, suivit son exubérant et malodorant camarade, et ils retrouvèrent Ulrich et Aelita en bas des marches. Yumi pénétra alors en courant dans le bâtiment de l’internat, enfouie dans une énorme doudoune qui la faisait ressembler à Totoro, ce personnage de manga dont la peluche jouxtait le futon dans sa chambre.
«- Ouh ! Quel froid ! Encore pire qu’à Sapporo, où mes parents m’avaient amenée quand j’étais petite pour voir les Jeux Olympiques d’hiver ou les Championnats du Monde, je ne sais plus ! Ce n’est pas étonnant que j’aie rêvé de mammouths, cette nuit ! expliqua gracieusement la jeune Japonaise en arrivant près de ses amis.
- Quoi ? firent les autres, nterloqués. Toi aussi ? s’exclamèrent-ils, tous, en un chœur unanime et stupéfait.
- Euh... J’ai loupé un chapitre, là... Vous pouvez m’expliquer ce qui arrive ? s’enquit Yumi, fixant ses amis avec stupeur.
- Ben, moi, j’ai rêvé de la Théorie du tout, et je me suis soudain retrouvé à voyager dans le temps et à atterrir en pleine Préhistoire ! expliqua Jérémie.
- Moi, je rêvais de spaghettis, ceux que me fait ma grand-mère à Milan, quand tout d’un coup, j’ai entendu comme des barrissements... J’ai rêvé que je sortais de chez moi, et que je voyais un troupeau de mammouths, qui avançaient dans la neige, indifférents à la tempête ! expliqua Odd à son tour, étonné.
- Moi, je rêvais, je cauchemardais, plutôt, que j’étais en train de me disputer avec mon imbécile de père, quand il y a eu un type comme je n’en avais jamais vu, Jim avec des poils partout et de grands cheveux, en quelque sorte, qui surgissait de derrière mon père et qui lui aplatissait la tête avec un énorme gourdin fait d’un os de Dieu sait quelle bête ! Tout d’un coup, je n’étais plus chez moi, mais dans une grotte où il y avait un campement, et dehors, il y avait un troupeau de mammouths qui passait ! ! ! dit alors Ulrich, se grattant frénétiquement le scalp !
- Ah ben ça, alors ! Moi, je rêvais que je me retrouvais dans la peau de Monsieur Puck, comme au début où j’avais ces visions terribles de mon passé, et je me suis retrouvé poursuivie par des loups, comme à chaque fois, mais les loups se sont soudain arrêtés, et je me suis retrouvée devant une femme épouvantable, qui se tenait devant un énorme mammouth ! Elle a fait un grand geste, et les loups se sont enfuis, épouvantés ! Et l’espèce de sorcière aux grands cheveux rouges, pas tellement plus grande que moi, mais laide à faire peur, m’a souri, et m’a fait signe de la suivre ! Je ne voulais pas, mais elle m’a pris la main, et elle m’a entraînée avec elle... Nous avons suivi les mammouths, et nous sommes arrivés jusqu’à une grotte où il y avait des espèces de cabanes couvertes de peaux, et des gens aussi étranges qu’elle. Elle est arrivée devant une cabane assez grande à l’entrée ornée d’un crâne de cerf énorme aux bois immenses, et de la tente, j’ai vu sortir mon père, vêtu de peaux de bêtes, lui aussi... Il m’a souri, m’a prise dans ses bras pour m’embrasser, et au moment où il allait le faire, je me suis réveillée, saisie par le froid qu’il y a dehors ! dit enfin Aelita, frissonnant, dans son épais anorak rose vif.
- Voilà qui est bizarre... C’est Xana qui s’est réveillé, vous croyez ? demanda Jérémie.
- Parle pas de malheur ! On a éteint ce maudit calculateur il y a deux mois, déjà ! soupira Ulrich.
- Oui, et ça nous fait tout drôle, de dormir enfin correctement depuis deux mois, ou d’avoir enfin le temps de manger comme il faut ! ajouta Odd.
- Hormis ce grand froid, il n’y a rien d’anormal, on est quand même presque à Noël ! ajouta Yumi.
- Je suis sûre qu’il s’est rallumé grâce à un programme en sommeil dans le réseau ! supputa Aelita.
- Tu sais que tu es vachement optimiste, comme nana, toi ? fit Odd, horrifié. Ça va pas nous refaire comme la fois où J.T. l’Infect était venu, une fois ça suffit ! Il a pris toutes les boulettes à la viande, et il ne les a même pas mangées, l’immonde ! Et j’avais faim, moi, tout comme maintenant, d’ailleurs ! Allez, on va manger, sinon Rose va encore se demander où on est, et Jim va encore nous faire son paranoid blues ! ! !».
Sur ces propos ironiques, Odd entraîna la petite troupe à l’extérieur de l’internat pour gagner la cantine...
Et là, horreur ! Sitôt franchi le seuil et descendu les marches en béton du perron du bâtiment, ils parvinrent non dans la cour de leur collège, où se trouvait la cantine, mais bien dans une vaste plaine enneigée, déserte, ouverte à l’infinie, où soufflait un vent terrifiant et glacial !
2.
Ils se retournèrent, pour réintégrer l’internat et sa relative chaleur... Mais l’internat avait disparu lui aussi ! Là aussi, à perte de vue, de la neige, de la glace, un ciel plombé, et ce vent terrible qui vous glaçait même au-delà de vos os ! On se serait crus sur le Territoire de la Banquise... Sauf que sur Lyokô, on ne ressentait ni faim, ni froid, ni fatigue ou douleur !
Et comme pour leur donner un aperçu de ce que pouvait être ce nouveau Territoire, des Blocks apparurent qui commencèrent à les canarder d’abondance ! Les cinq adolescents, épouvantés, s’enfuirent en courant aussi vite qu’ils le pouvaient...
Heureusement, la neige épaisse ralentissait les Blocks, mais ne leur permettait pas d’avancer bien vite non plus... Ils se fatiguaient inutilement, menés par les Blocks vers un piège temporel terrible !
Soudain, ils débouchèrent devant une combe escarpée, encombrée d’une impénétrable forêt de conifères, et ils se glissèrent entre les arbres, faisant un peu de varappe, pour gagner le fond de ce mystérieux refuge protégé du froid terrible, ravis d’échapper un moment au vent cauchemardesque et mortel qui régnait au-dessus de cette faille rocheuse et sombre où ils étaient en quelque sorte tombés ! Là haut, les Blocks semblaient les contempler avec ironie.
Puis ils se dématérialisèrent, les laissant seuls en proie à un désarroi immense. Ils parvinrent enfin au fond de cette combe étroite et touffue, et découvrirent une rivière, que le gel avait saisie, de place en place. Assoiffés, ils n’hésitèrent pas un instant, et burent à longs traits l’eau claire et transparente comme le cristal qui sourdait des rochers à côté d’eux pour se jeter dans le torrent en contrebas. Suivant l’étroite berge glissante, ils parvinrent en face d’une falaise abrupte percée comme un vieux Gruyère.
De certains des trous sortaient des fumées dont les odeurs de résineux et de viande grillée étaient portées jusqu’à eux par un léger courant d’air, incomparable avec le blizzard qui soufflait bien plus haut ! Stupéfaits, ils s’entreregardèrent, inquiets :
«- Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? s’enquit Jérémie.
- On suit la fumée ! Il y a des feux allumés, là-bas ! Et s’il y a des feux, il y a des gens qui pourront peut-être nous aider ! dit Ulrich.
- Méfions-nous, on ne sait pas qui ils sont... Ils sont peut-être méchants ! dit craintivement Yumi, regardant autour d’elle, inquiète.
- J’ai l’impression qu’on nous observe, et qu’ils savent très bien que nous sommes là ! confirma à son tour Aelita, guère plus rassurée.
- Oui, ben moi, j’ai faim, et ça sent plutôt bon ! déclara Odd, oubliant toute raison, et marchant ouvertement dans la direction d’où provenaient les arômes de viande grillée.
- Odd ! », s’écrièrent les autres, en chœur ! Trop tard !
3.
Ventre affamé n’a pas d’oreilles, dit-on, et ce qui arriva par la suite le confirma, une fois de plus ! À peine eût-il fait quelques pas, qu’Odd se retrouva encerclé, comme ses amis, d’ailleurs, par une troupe dépenaillée et chevelue d’individus pas tellement plus grands qu’eux, mais redoutablement musclés et dotés de têtes vraiment incroyables ! Ça n’étaient que sourcils en surplombs, nez conséquents, mâchoires puissantes et barbues, dents éclatantes et redoutables, parfois brisées et usées, d’ailleurs, fronts bas et inclinés, yeux brillants comme
des escarboucles d’un éclat féroce au fond de profondes orbites caves et épaules formidables !
Le cercle d’hommes - car c’étaient des hommes !- armés d’épieux en bois à la pointe durcie au feu et de lance aux pointes de pierre taillées s’était refermé sur eux, silencieux comme des fauves en chasse, et vraiment effrayant !
Les pauvres petits adolescents, pétrifiés de peur, n’osaient plus bouger ou piper mot...
Les chasseurs, avisant tout de même la grande jeunesse de leurs proies, s’écartèrent un peu, et parlèrent entre eux de ces peu banales proies qu’ils avaient trouvées sur leur territoire en un langage rugueux et incompréhensible aux oreilles des petits modernes épouvantés.
« - Ah, bravo, Odd ! Merci ! Grâce à toi, on va peut-être leur servir de dîner ! Des Néanderthals, en plus ! fit Jérémie, avisant sous le nez le plus proche des chasseurs, un type presque aussi large que haut, doté d’une vraie crinière rousse hérissée et de grands yeux transparents comme la glace hivernale.
- Ils sont affreux, ils me font peur ! gémit Yumi, se serrant contre Ulrich.
- Ouais, mais malgré tout, ils sentent moins mauvais que les pieds d’Odd ! ricana Ulrich, pour tenter de détendre l’atmosphère. Salut, les gars ! On était perdus, on a vu de la lumière, on a senti la fumée, et on est entrés ! Ça a l’air sympa, chez vous ! lança-t-il, à l’adresse de celui qui semblait être le chef, un gaillard un peu plus grand que les autres, et tout aussi costaud, doté d’une invraisemblable crinière noire et d’yeux noirs aigus comme ceux des aigles.
- Je ne crois pas qu’ils parlent français, même s’ils parlent ! dit Aelita. Ils sont tout de même très laids ! Et Dieu sait ce qu’ils vont faire de nous !», acheva-t-elle, d’une toute petite voix, comme l’un des chasseurs, une chasseuse, même, s’emparait délicatement, entre deux de ses doigts puissants, d’une des mèches roses de la jeune fille et la regardant avec stupeur. Odd, avec sa mèche violette subissait le même genre d’examen que son amie de la part d’un jeune homme blond comme lui, mais redoutablement costaud.
Finalement, les préhistoriques ne semblaient pas hostiles, mais bien intrigués par les drôles de créatures qu’ils avaient trouvées dans leur combe : les lunettes de Jérémie fascinaient le chef du groupe qui s’en empara, et les regarda sous tous les angles, n’y comprenant rien, mais il les restitua finalement à son propriétaire bien embarrassé qui, sans ses précieux verres, était quasiment aveugle !
4.
Doucement, les chasseurs aidèrent les adolescents à traverser le gué de la rivière tumultueuse à-demi gelée pour aborder l’autre rive et monter l’étroit sentier qui menait à leurs cavernes.
Là, toute une nuée d’enfants, suivis par des vieux alertes, accueillit la troupe de chasseurs qui revenait, chargée de venaison et escortant de bien étranges visiteurs !
Tout ce petit monde archaïque discutait avec force gestes et dans leur patois impossible de ce qui était arrivé et de la venue de ces étrangers comme on n’en avait encore jamais vus !
Les enfants, curieux, touchaient timidement les vêtements des jeunes étrangers, Odd et Aelita les fascinant particulièrement, l’une avec ses cheveux roses et l’autre avec sa mèche violette ! Finalement, d’une des cabanes dressées dans la grotte sortit une jeune femme aux longs cheveux roux et aux grands yeux verts étincelants, qui regardait les étrangers avec amusement et curiosité. Elle ordonna, d’une voix grave et mélodieuse, aux enfants de les laisser tranquilles, ce qu’ils firent, à regret, et s’avança vers Aelita. Ses puissantes mains calleuses et griffues se posèrent délicatement sur les tempes de la frêle jeune fille aux cheveux étonnants, et ses yeux verts lumineux se rivèrent dans ceux, tout aussi verts, d’Aelita.
«- Je savais que tu viendrais du temps des enfants de nos enfants ! Que tes amis et toi venez d’un territoire situé à des saisons et des saisons d’ici ! entendit-elle, soudain, dans son esprit. La femme était télépathe ! N’aie pas peur de nous ! Nous ne vous ferons aucun mal... Nous vous emmènerons à la colline aux Esprits. Là, il y a des êtres comme vous, qui passent de saisons en saisons comme nous d’un territoire à un autre. Mais eux, ils ont une puissante magie, au lieu de se servir de leurs jambes pour voyager ! perçut-elle, encore. La femme relâcha doucement Aelita, sidérée.
- Ça alors ! Ils sont télépathes ! Et cette femme, qui a l’air d’être leur chef, m’a dit qu’elle savait que nous viendrions ici. Elle m’a dit aussi que pas loin d’ici, il y avait des gens qui voyageaient dans le temps, d’après ce que j’ai cru comprendre, et qu’ils nous amèneraient chez eux pour qu’on puisse rentrer chez nous ! expliqua la jeune fille.
- Aelita, tu es sûre que tu vas bien ? s’enquit Odd, inquiet.
- Il est possible qu’ils aient été télépathes, les Néanderthaliens... Ils étaient différents, mais aussi intelligents que nous. Et comme leur cerveau n’était pas tout à fait comme le nôtre, ils avaient peut-être des talents que nous n’avons plus ! dit sagement Jérémie. Je ne sais pas
pourquoi, je n’ai finalement pas peur d’eux ! Ils n’ont pas l’air méchant. Ils sont bizarres, mais visiblement, ils ne sont pas violents !».
5.
Les préhistoriques s’étaient rendus compte que les petits visiteurs si fragiles semblaient gelés et affamés. Gentiment, ils leur prêtèrent quelques pelisses épaisses et velues, en fourrures d’ours, de lion, de panthères des neiges, confortables et chaudes, et ils les installèrent, aimablement, autour du plus grand foyer de la grotte principale, aux côtés des chasseurs qui partagèrent leur repas quelque peu carnivore avec eux sans rechigner.
La viande, grillée sur des dalles de schiste, chassée le jour même, dégageait une odeur appétissante, et Jérémie supposa qu’il s’agissait de morceaux de cerf et même de mégacéros, le grand cerf géant, disparu de leur monde à la fin de l’ère glaciaire. Ces hommes étaient courageux de s’attaquer, avec leurs armes rudimentaires, à des animaux aussi dangereux et immenses ! Les collégiens discutaient calmement entre eux de leur étonnante aventure, se demandant comment ils se sortiraient d’une telle histoire, pour cette fois !
Odd, cependant, mangeait à belles dents un énorme morceau de viande bien saignant que le chef des chasseurs lui avait donné en riant aux éclats devant le féroce appétit du gringalet à la mèche violette !
Son formidable appétit suscitait l’admiration effarée des préhistoriques qui, pourtant, en matière d’appétit redoutable, n’étaient pas en reste, étant donné leur gabarit trapu et l’énergie qu’ils devaient dépenser pour résister au froid, aux dures conditions de leur vie, et aux exercices périlleux qu’ils étaient amenés à réaliser pour conquérir leur proies et nourrir le reste de la tribu !
Le petit blondinet se régalait visiblement, mais, comme un goinfre, à tel point qu’Ulrich lui lança, taquin :
«- Mais enfin, Odd, tu es un vrai goret ! Même eux, s’ils mangent avec les doigts, y vont avec plus de distinction que toi ! T’es vraiment répugnant, quand tu t’y mets ! Non mais vraiment, même à la cantine, tu n’es pas aussi dégoûtant !
- Ben quoi ? Ch’est bon ! Et j’avais très faim, moi ! articula Odd, la bouche pleine, suscitant les rires de tout le monde !
- Et en plus après, il faudra peut-être qu’on chasse avec eux, pour remplacer la viande qu’on a mangée ! objecta, sagement, Aelita.
- Quoi ? Tuer des pauvres bêtes ? Mais quelle horreur ! se récria Yumi, en bonne bouddhiste, qui dépiautait délicatement avec hésitation un morceau minuscule.
- Ben tu sais, Yumi, ça peut pas être pire qu’en face des Kankrelats, des Blocks, des Mégatanks, des Krabes, des Frolions, des Rampants, de la Méduse, des Mantas ou du Kolosse ! sourit Ulrich. Sauf qu’au lieu de proies virtuelles, ça sera de vraies bêtes, c’est tout ! Et puis, il faudra bien manger, sans être une charge pour ces pauvres gens qui sont bien gentils de nous donner tout ce qu’ils possèdent sans rechigner ! Nous leur devons bien ça, leur rendre leurs bienfaits, tout de même ! Ici, ce n’est pas comme chez nous, les règles ne sont pas les mêmes, et nous devrons faire comme eux ! Sans compter que nous devrons peut-être nous faire des vêtements de rechange aussi, dans le style Robinson Crusoé, en peaux et fourrures, cuir, comme eux ! acheva-t-il, pensif.
- En tout cas, ils sont bien mieux habillés et plus propres que ce qu’on pensait ! dit Jérémie. On pensait que ces gens étaient incapables de se faire des vêtements corrects et qu’ils étaient malpropres ! Eh bien, ça n’est pas vrai ! Même si leurs vêtements ne sont pas cousus à proprement parler, ils ont lacés entre eux plusieurs morceaux de peau, cuir ou fourrure pour se faire des sortes de pagnes, des espèces de mocassins ou des bottes, des sortes de pantalons, des tuniques et ces espèces de manteaux en fourrure, comme ceux qu’ils nous ont prêtés ! Et puis, même si leurs cheveux sont hérissés dans tous les sens, ils sont propres et ne sont pas emmêlés, et ils ont l’air de se laver régulièrement aussi ! Ça alors ! Mon oncle qui est archéologue, serait ravi de voir ça ! La préhistoire et les Néanderthaliens, c’est sa passion, et il m’a toujours dit que ces gens n’avaient pas fini de nous réserver de grandes surprises ! Il serait très étonné de voir qu’il avait raison ! conclut-il, ravi.
- Et, finalement, ils ne sont pas si laids que ça ! dit Yumi. Ils ont de drôles d’allures, mais on finit par s’y habituer ! En tout cas, même s’ils sont gentils et généreux, j’aimerais bien savoir comment on va rentrer chez nous ! acheva-t-elle, tristement.
- Je crois que la femme rousse va nous aider... Je crois qu’on peut leur faire confiance ! dit Aelita, souriante.
- Bon, je sais pas vous, mais moi, j’ai envie d’aller me coucher ! dit Odd, en bâillant à se décrocher la mâchoire et ouvrant un four digne d’un tigre à dents de sabre, ce qui fit bien rire les chasseurs qui étaient encore autour du feu avec eux !
- C’est vrai que nous avons marché pendant des heures dans cette plaine effrayante, et que nous sommes épuisés... D’ailleurs, le jour décline aussi ! observa Ulrich.
- Et comment leur faire comprendre que nous sommes fatigués ? s’enquit Aelita.
- Ne vous en faites pas... Vous pourrez dormir dans ma tente, il y a assez de place pour vous ! transmit soudain la pensée de la femme rousse, que tous perçurent très clairement.
- Ah ben ça alors ! s’exclama Jérémie.
- Allez, suivez-moi, vous ne pouvez presque plus tenir debout ni les yeux ouverts ! continua gentiment la pensée de la Néanderthalienne rousse, qui les mena devant une vaste tente couverte de peaux. Elle souleva le rabat qui servait de porte, et les adolescents, perplexes, la suivirent.
- Eh, elle est très chouette, cette cabane ! Bien rangée, confortable, et propre ! Ça alors ! s’enthousiasma Jérémie.
- Moi, ça me rappelle quand on va camper vers le Lac Majeur avec mes parents ! dit Odd.
- Les Néanderthaliens ont dû donner les Japonais... Ils ont inventé les futons ! plaisanta Yumi, avisant les espèces de grands sacs de cuir posés sur le sol, emplis d’herbes sèches et odorantes, composant d’épais matelas sur lesquels étaient soigneusement pliées de chaudes fourrures. Les « matelas » eux-mêmes étaient posés sur une mince litière de bruyère visant à les isoler du sol glacé, elle-même recouverte de peaux usées mais propres, mises là en guise de tapis de sol.
- Tenez ! Voilà qui vous fera des couvertures convenables ! Il fait trop froid ici, pour vous, et je n’ai pas envie que vous preniez la mort ! transmit la Néanderthalienne, aimable, leur donnant à chacun une douce peau de renne et une épaisse fourrure d’ours.
- Je me demande comment elle sait tout ça sur nous, celle-là ! dit Ulrich, un peu bougon.
- Ça doit être la chaman de la tribu. Elle a un regard terrible ! Et ce don de télépathe ! dit Aelita.
- Bon, eh bien moi, je me couche !».
Et Odd, sans hésiter, se déchaussa, se dévêtit, et s’allongea sur une des couches, en s’enveloppant dans les chaudes peaux. Toutefois, ses camarades furent bien surpris de voir la Néanderthalienne rousse, faisant la grimace, s’emparer des chaussures et chaussettes du garçon, et les lancer, carrément, hors de la cabane, sous leurs rires ! Odd, lui, fatigué, dormait déjà, malgré l’étrangeté de la situation.
Ils se couchèrent à leur tour, tandis que la Néanderthalienne, souriante, mouchait la petite torche qui éclairait chichement son confortable refuge.
Étonnamment, épuisés par leur journée, et en dépit de la bizarrerie inquiétante de ce qui leur arrivait, ils dormirent comme des souches, d’un sommeil réparateur et profond.
6.
À l’autre bout de la combe, à plusieurs jours de marche de là, dans la Colline aux Esprits, c’était l’ébullition.
Une perturbation spatio-temporelle totalement étrange était apparue soudainement, provoquant l’apparition, dans ce monde, de jeunes gens et de créatures virtuelles inconnus qui n’avaient vraiment pas leur place là !
Les Explorateurs Temporels qui avaient érigé leur base secrète sous cette colline, et qui devaient veiller au bon ordre du Continuum, avaient assisté à la récupération des adolescents, poussés par les créatures virtuelles inconnues et dangereuses dans la combe, par les Moharn, ces Néanderthaliens qu’ils observaient depuis des années, avec stupeur. Ils avaient assisté, plusieurs années relatives plus tôt, à l’arrivée d’un informaticien génial, nommé Franz Hopper, dans leurs rangs.
Et justement, Franz Hopper était dans le Q.G. de la base, parlant avec véhémence et horreur de ce qui était arrivé à sa fille Aelita et à ses amis !
«- Xana, l’anti programme que j’avais créé pour juguler le Projet Carthage a ressuscité dans le Réseau et il a créé un vortex temporel pour exiler ces pauvres petits ici et maintenant ! Il a suscité un Retour vers le Passé encore plus puissant que les fois précédentes, et il s’en est pris aux seuls êtres capables de le contrer, les repérant grâce aux traces informatiques qu’ils ont laissées dans le Réseau ! Ce que j’ignore, c’est pourquoi il les a envoyés précisément ici et maintenant ! Tout comme il m’y avait envoyé, moi ! disait l’informaticien génial, désespéré.
- Franz, il faut que je vous avoue quelque chose. Les constructeurs des bases intertemporelles, issus du trentième siècle de votre ère, comme vous le savez, se sont basés sur vos travaux et le Projet Carthage pour créer les bases intertemporelles. Il se trouve que Carthage est toujours le cœur du système qui gère l’Intelligence Artificielle que nous avons ici. Seulement, nous avons trouvé mieux que Xana pour éviter les abus de ce programme et les erreurs qui en ont découlé... Bidule, notre Intelligence Artificielle obéit aux Lois d’Asimov, et elle a une éthique, une conscience morale qui faisaient bien défaut à vos programmes multi-agents ! Et comme le cœur du programme est toujours Carthage, les ondes temporelles générées par les Retours vers le Passé des autres Supercalculateurs situés dans différents secteurs de l’espace-temps sont automatiquement détectées par ce programme-ci qui a vu ce que Xana tentait de faire de vous et de ces enfants ! Voilà pourquoi vous vous êtes tous retrouvés ici et maintenant ! expliqua Serge Matthieu, le directeur de la base intertemporelle, souriant.
- Oui, mais moi, une fois libéré de Xana, et quand je me suis sacrifié pour donner l’énergie nécessaire à l’antivirus sur le réseau, je me suis matérialisé directement dans le Q.G., ici, je ne me suis jamais retrouvé en contact avec le monde extérieur et ces sauvages qui n’ont pas l’air bien méchants, mais tout de même ! Ces petits, entre les mains des Néanderthaliens ! objecta Franz Hopper.
- Je confierai ma vie sans hésiter à ces gens ! sourit Serge Matthieu. Ils sont courageux, généreux et altruistes. Ils protégeront et aideront ces enfants au-delà de toutes nos espérances ! Ils vont même les amener jusqu’à nous sans souci ! expliqua-t-il, gentiment.
- Vous... Vous croyez qu’on peut leur faire confiance ? hésita Hopper, inquiet.
- Je les connais. Ce sont de braves gens, dans tous les sens du terme ! Jamais ils ne laisseront plus faible qu’eux en danger et sans protection ! Le petits ne risqueront rien avec eux ! expliqua Matthieu.
- Je l’espère bien ! J’ai déjà perdu ma pauvre Anthéa, je ne pourrai survivre à la perte d’Aelita ! Elle est tout ce qui me reste ! dit le pauvre Hopper, bouleversé.
- Ne vous en faites pas ! Dans quelques jours ils seront ici, et nous pourrons les renvoyer à l’instant même où ils en sont partis, dans leur monde et leur temps d’origines !».
Et, sur la tranquille assurance du directeur, Franz regarda, via les grands écrans qui constellaient les murs du Q.G., ce qui arrivait à ces enfants, filmés grâce à des caméras minuscules et invisibles.
7.
Le temps ne s’écoulait pas à la même vitesse à l’intérieur de la base et à l’extérieur. En quelques heures, Franz suivit une semaine des exploits préhistoriques et inattendus des collégiens de Kadic transbahutés dans l’Odyssée de l’Espèce !
Le lendemain de leur arrivée, ils déjeunèrent copieusement, comme leurs hôtes préhistoriques qui ensuite les convainquirent d’aller se purifier dans une drôle de cahute... En fait, ils avaient carrément inventer l’ancêtre du sauna, et après s’être vigoureusement frottés avec des herbes odorantes et de l’argile saponifère, ils durent, comme tous les autres, aller piquer une tête dans la rivière pour se rincer, surpris de n’avoir pas plus froid que ça !
Parfaitement mis en forme par cette peu banale entrée en matière, ils prirent les besaces en cuir pleines de provisions qu’on leur fournit, et ils suivirent plusieurs des chasseurs dont la chaman aux cheveux roux, qui allaient les accompagner à la fameuse Colline aux Esprits.
Les chasseurs portaient en plus des provisions leurs armes et quelques équipements de base, de bonnes couvertures, des vêtements de rechange, des herbes médicinales...
En fait, ils ne chasseraient pas, ils allaient juste assurer la protection des cinq jeunes gens si étranges mais plutôt aimables et très drôles, surtout celui avec la mèche si bizarre qui puait plus qu’une hyène ayant mangé une bonne charogne ! ! !
Le voyage se déroula sans encombre, les chasseurs ayant choisi de sortir de la combe et de passer par le causse, au-dessus, car le chemin était plus rapide et aisé par là. En chemin, ils rencontrèrent un troupeau de mammouths qu’ils regardèrent passer avec respect, puissants, invincibles, magnifiques sous les cieux enfin dégagés et d’un bleu cruel. Les puissantes créatures, telles nos modernes chasse-neiges se frayaient un passage parmi les congères et traçaient une voie large et sûre, aisée à suivre, qu’ils déblayaient de leurs grandes défenses. recourbées et de leurs trompes velues. Souriant à l’aubaine, les hommes s’engouffrèrent à la suite des respectables créatures, sur cette voie sûre et dégagée, qui se trouvait aller dans la même direction que celle qu’ils voulaient suivre.
Après cinq jours, ils parvinrent enfin à la Colline aux Esprits, au bout de la combe qu’ils avaient suivie depuis les hauteurs, et les gentils préhistoriques dirent au revoir à leurs curieux visiteurs qui furent tout émus par ces amis d’outre temps si étonnants ! Ils avaient peine à les laisser, mais leur monde les attendait et leur vie aussi.
Sitôt les préhistoriques partis, Matthieu ordonna la matérialisation des cinq jeunes gens dans le Q.G. de la base intertemporelle. Là, stupéfaits et bouleversés, ils retrouvèrent Franz Hopper, qui les serra sur son cœur avec des larmes d’émotion.
Il leur expliqua ce qui était arrivé, et comment Xana avait ressuscité dans le Réseau, prêt à nuire à nouveau de toutes les façons possibles et imaginables. Ils allaient devoir rallumer le Supercalculateur, reprendre la direction de l’Usine, revenir dans les scanners et Lyokô, remonter à bord du Skid... Seulement là, s’ils translataient, ils risquaient, à présent que Xana savait explorer le temps, de se retrouver n’importe où et n’importe quand, ce qui impliquait des luttes à venir bien plus terribles encore ! Mais les Gardiens des Siècles, les membres de la base intertemporelle leur jurèrent qu’ils veilleraient sur eux coûte que coûte, et qu’ils seraient toujours là pour les sortir des pires situations si nécessaire ! Leur mission à présent n’était pas de sauver le monde, mais bien l’Univers tout entier et faire en sorte que la trame de l’espace temps ne soit en rien perturbée !
La nouvelle mission des Lyokô-Guerriers s’annonçait périlleuse, mais combien passionnante, aussi ! Ah ! On était bien loin de quelques tours à désactiver dans un monde virtuel !
Là, on allait jouer avec le monde réel, et en grandeur nature ! Après tout, c’était une excellente manière de réviser l’histoire et la géographie, ou de mettre en application les théories les plus pointues de la physique quantique !
Après les explications de Franz Hopper, les adolescents franchirent le vortex intertemporel et se retrouvèrent dans le hall de l’internat de Kadic. Rien de ce qui leur était arrivé n’était apparent, et tout leur paraissait à présent un étrange rêve qu’ils avaient tous partagé.
Dans la Salle du Supercalculateur éteint, un voyant clignotait... Un étrange symbole, fait de plusieurs cercles concentriques et de traits... Le Signe de Xana !
Loin, très loin de là, dans un vieux serveur abandonné mais toujours branché au Réseau, un programme fou calculait sa revanche.
Fin.